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considérait avec raison ce dernier maître comme très personnel, et par suite dangereux à suivre.

Pour lui, Claude avait atteint le plus haut degré de perfection dont l’art humain « soit capable, tant son talent est aimable, plein de calme et de sérénité. C’est le tranquille rayonnement du cœur. » Il revient souvent sur cette perfection de Claude, « sur la limpidité de sa peinture, transparente comme le cristal. » L’Embarquement de sainte Ursule de la National Gallery était, à ses yeux, « la peinture en demi-teinte la plus fine qui existe. »

Ce culte que Constable professait à bon droit pour Claude a même fourni à l’un des plus fins connaisseurs de notre temps l’occasion d’opposer le jugement que l’artiste portait sur le grand paysagiste français à l’injuste appréciation qu’avec son dogmatisme intolérant, Ruskin a mainte fois exprimée. En tête d’une suite de reproductions des beaux dessins de Claude que possède M. J. Heseltine, cet éminent collectionneur a placé, en effet, quelques lignes extraites des Modern Pointers et dans lesquelles Ruskin va jusqu’à dire que « le sentiment et la composition des dessins de Claude au British Muséum, bien que faits dans un âge déjà avancé, peuvent, à cause de leur extrême faiblesse, être considérés comme l’œuvre d’un garçon de dix ans ! » Sans insister contre l’évidente fausseté d’un pareil jugement, M. Heseltine, avec une malice piquante, s’est contenté de mettre à la fin du recueil de ces reproductions l’éloge enthousiaste que Constable dans une de ses lectures (à Hampstead en juin 1833) fait du génie de « l’inimitable Claude, » éloge qui, dans sa bouche, est autrement significatif et que confirment assez d’ailleurs les excellens dessins publiés dans ce recueil.

A côté de Claude, les Hollandais, entre autres Pieter de Hooch et Cuyp, séduisaient aussi Constable par la simplicité familière de leurs motifs et la pénétrante exactitude de leur observation. Le contraste si profond qu’il signalait entre des interprétations de la nature aussi différentes que celles de Poussin, de Claude, de Rubens et de Ruysdaël lui paraissait une preuve de plus, et tout à fait convaincante, « de la multiplicité et de la diversité des voies que peut suivre le génie pour arriver à la prééminence. » Mais si vive que fût l’admiration de Constable pour les maîtres du paysage, elle ne lui faisait jamais oublier celle que lui inspirait la nature. « Il me semble, disait-il, que certains critiques exaltent la peinture d’une manière ridicule.