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espèces de hottes, usitées dans les prisons, qui empêchent de voir ou d’être vu. Les bruits du dehors, même ceux « des corps de garde, et des cuisines, » n’arrivaient point dans ce lieu reculé, le plus « sourd » de toute la citadelle, à cause de l’énorme épaisseur des murailles et des voûtes : « — Jamais, disait l’une des lettres, M. Foucquet ne pourra savoir s’il a un compagnon ou non. » Les correspondans de Louvois insistaient unanimement sur l’impossibilité de se sauver de là.

Le Roi leur fit répondre d’ajouter encore « une grille en fer scellée en dedans de la chambre à l’embrasure des fenêtres, et une vissante à la cheminée, » pour empêcher M. de Lauzun de « parler à M. Foucquet par la même cheminée. »

Quand cette lettre partit de Saint-Germain, Lauzun était déjà sous clef à Pignerol. Il s’était montré fort triste, et fort abattu, pendant le voyage. Son affliction se changea en fureur à la vue du cachot qui l’attendait. Saint-Mars écrivit à Louvois : « — (22 décembre 1671.) Monseigneur, mon prisonnier est… dans un si profond chagrin, que je ne vous le puis figurer aussi grand qu’il est ; il m’a dit que je lui avais fait faire un logement pour in sæcula sæculorum. » Lauzun lui déclarait qu’il en deviendrait fou, et son agitation semblait lui donner raison : « — (30 décembre.) Je ne crois pas, Monseigneur, vous mander jamais rien de sa quiétude ; il est dans une affliction si grande, qu’il ne fait autre chose que de soupirer et de battre des pieds… Il m’a demandé une fois si je savais le sujet de sa détention ; je lui ai dit que je n’apprends jamais de nouvelles, de crainte d’en dire à personne. »

Lauzun devait deviner pourquoi il avait été arrêté ; mais personne ne le lui avait dit. On lui avait refusé à Saint-Germain toute explication, et, d’être mis dans un pareil cachot, au secret le plus rigoureux, sans même lui en donner la raison, cela lui paraissait criant d’injustice et d’arbitraire. Saint-Mars commençait à craindre une résolution désespérée : « (12 janvier 1672.) Monseigneur…, il est si extraordinairement chagrin que j’ai peur qu’il ne perde l’esprit ou qu’il ne se désespère[1], il m’en a menacé plusieurs fois… Comme je ne m’arrête pas à ces sortes de manières de parler, il m’a fait reproche que j’étais devenu dur et impitoyable par la longueur de temps que je garde des

  1. Se désespérer a ici le sens de se tuer.