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santé. M. de Lauzun coupait court en déclarant que « sa santé était inutile à tout le monde et qu’il ne se porterait toujours que trop bien. » L’autre ne savait plus que dire. Il enrageait, Lauzun le voyait, et devenait encore plus taciturne ; c’était de bonne guerre.

Au bout d’un an, Saint-Mars n’était pas plus avancé : « (7 janvier 1673.) Quand je lui vais donner le bonjour ou le bonsoir, et que je lui demande comme il se porte, il me fait de grandes révérences, me disant qu’il se porte très bien pour me rendre ses très humbles respects s’il en était capable ; après l’avoir remercié, nous nous promenons quelque temps ensemble sans nous rien dire, et comme je me veux retirer, je lui demande s’il n’a rien à me commander ; il me fait encore une très grande révérence et me reconduit jusqu’à la porte de sa chambre ; voilà, Monseigneur, où nous en sommes, lui et moi, et où je crois que nous en demeurerons. »

Il essaya de la contrainte. C’était lui qui fournissait Lauzun de tout, qui l’habillait, le meublait, lui achetait des pincettes ou lui commandait une perruque. Il se dit qu’un moyen certain de le faire parler serait de ne plus rien lui donner qu’il ne l’eût demandé. Lauzun inventa aussitôt un langage muet. Saint-Mars apercevait en entrant quelque objet hors de service, placé « en parade, » et ayant l’air de lui faire signe : « Quelquefois, écrivait-il, je ne fais pas semblant de prendre garde à cela, afin de l’obliger à me demander (6 mai 1672). » Lauzun dirigeait alors sa promenade devant l’objet « en parade, » et Saint-Mars se trouvait forcé d’avoir compris.

Le valet était presque aussi fermé que le maître. Saint-Mars ne cessait de se lamenter de la peine que lui donnaient « ces gens-là. » Les valets de prisonniers d’État suivaient le sort de leur maître. Ils ne repassaient le seuil de son cachot qu’avec lui, c’est-à-dire jamais, dans beaucoup de cas, ce qui rendait extrêmement difficile de s’en procurer. Celui de Lauzun était « un méchant garçon, » qui s’était laissé gagner, et refusait déjà au bout de trois mois de faire son devoir d’espion. Saint-Mars en était outré : « (20 février 1672.) Avec votre permission, [je] le mettrai dans un lieu que je réserve, qui fait jaser les muets, après y avoir demeuré un mois. Je saurai par là toutes choses de lui, et je suis assuré qu’il n’oubliera pas la moindre bagatelle. » Réflexion faite, Saint-Mars finissait toujours par patienter,