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trouble que jamais. Le merveilleux empire de Louis XIV sur lui-même l’empêchait de se trahir ; mais l’on se représente ses incertitudes, ses combats intérieurs, et, il faut l’espérer, sa honte et ses remords, devant ce châtiment de ses fautes. Mme de Montespan, de son côté, malgré le secret absolu, et bien merveilleux aussi, gardé par la justice et la police, ne pouvait pas ignorer que Mlle des Œillets avait été interrogée, confrontée et, finalement, enfermée pour le reste de ses jours à l’hôpital général de Tours[1]. Mme de Montespan savait donc qu’elle avait été dénoncée ; mais dans quelle mesure ? et qu’en pensait le Roi ? Quelles rencontres, entre ces deux êtres ! Quels entretiens, passés à s’observer et à dissimuler !

Cependant la vie de cour tournait dans son cercle monotone, et Mme de Montespan y figurait toujours aux places d’honneur. En mars 1680, elle va au-devant de la Dauphine[2] avec le reste de la Cour, et c’est elle que l’on charge du choix et de l’arrangement de ce que nous appellerions la corbeille, « étant la femme du monde, écrivait Mademoiselle, qui se connaît le mieux à toutes choses. » En juillet, le Roi l’emmène à Versailles avec sa sœur, Mme de Thianges, et sa nièce, la belle duchesse de Nevers, que sa mère et sa tante offrent cyniquement au monarque[3]. En février 1681, « on ouvre… une loterie chez Mme de Montespan, dont le gros lot sera de cent mille francs, et où il y en aura cent autres de chacun cent pistoles[4]. » En juillet 1682, la chambre ardente est supprimée brusquement. Sur plus de trois cents accusés, trente-six, gens de rien ou de pas grand’chose, avaient été exécutés, une centaine envoyés aux galères, ou en prison, ou dans des couvens, ou en exil, les accusés de marque s’en tirant toujours à bon compte. Les cachots de Paris et de Vincennes étaient encore bondés. On relâcha le fretin, et l’on répartit le reste, sans autre forme de procès, entre diverses prisons de province, pour y attendre une mort qui se faisait rarement attendre. De Louvois à M. Chauvelin, intendant, le 16 décembre 1682, en lui annonçant l’un de ces convois :

  1. Elle y mourut le 8 septembre 1686. Catau semble avoir été mise hors de cause, bien qu’elle eût été placée chez Mme de Montespan par la Voisin.
  2. Marie-Anne-Christine de Bavière venait épouser le Grand Dauphin.
  3. Cf. les Souvenirs de Mme de Caylus et la lettre de Mme de Sévigné, — entre autres, — du 17 juillet 1680.
  4. Lettre du marquis de Bussy à Bussy-Rabutin, du 6 février 1681 (Correspondance de Bussy-Rabutin).