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personne en France, excepté Segrais, ne doutait plus qu’ils ne fussent mariés. C’était une opinion établie, et qui ne varia plus. On la retrouve au XVIIIe siècle ; l’historien Anquetil vit au Tréport, en 1744, une vieille personne de plus de soixante-dix ans, qui ressemblait aux portraits de Mademoiselle, et qui ne savait, pas d’où lui venait la pension dont elle vivait[1]. Cette personne se croyait fille de la duchesse de Montpensier, et la tradition locale lui donnait raison. De preuves, aucune, et l’on verra plus loin que cette question du mariage avec Lauzun revient sans cesse, dans une biographie de la Grande Mademoiselle, avec une monotonie un peu fatigante, et sans qu’il soit jamais possible d’y faire une réponse nette.

Quoi qu’il en soit, cette princesse donnait un bien bel exemple de constance et de fidélité. Elle avait vécu dix ans absorbée dans une pensée unique. On lit dans ses Mémoires pour l’année 1673 : « — Il ne se passa rien dont je me souvienne cet hiver-là. Mes chagrins m’occupent tant, que je ne le suis guère des affaires des autres. » Délivrer Lauzun était devenu son idée fixe, et elle s’attachait aux pas du Roi, à ceux de Mme de Montespan, sans se permettre de leur garder rancune du mal qu’ils avaient fait, puisque eux seuls pouvaient le défaire. Plus ils se montraient inexorables, plus Mademoiselle redoublait ses assiduités. En 1676, elle se fit pendant deux heures l’illusion que Louis XIV avait enfin, au bout de cinq ans, un mouvement de compassion. On venait de recevoir la nouvelle de l’évasion manquée de Lauzun : « — J’appris que le Roi avait écouté la relation que l’on lui en avait faite assez humainement, je ne puis dire avec pitié. S’il en avait eu, serait-il[2]encore là ? » Elle écrivit au Roi, n’en eut pas de réponse, comme toujours, et quatre années s’écoulèrent encore. Mme de Montespan n’était plus favorite. Les courtisans se croyaient habiles de la négliger. Mieux inspirée, Mademoiselle continuait à ne bouger de chez elle, et l’événement lui donna raison, au moment le plus dramatique pour Louis XIV de l’affaire des poisons.

C’était au printemps de 1680, tandis que de tout l’entourage de la Voisin, les dénonciations pleuvaient sur la favorite tombée. Mademoiselle remarquait, à certaines allées et venues, à un changement de ton, qu’il se brassait quelque chose entre Mme de

  1. Louis XIV, sa cour et le Régent, par Anquetil (Paris, (1789).
  2. Le second il s’applique à Lauzun.