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pauvre grand homme : ce ne pouvait être qu’une héroïne attendrissante. « Je voyais maman et j’étais heureux… » Leur liaison a familiarisé les esprits avec l’idée d’un mélange de l’amour et de l’affection maternelle. Et voici que, trente années plus tard, nous retrouvons sur les lèvres d’Elvire l’expression de cette sorte de maternité amoureuse.

Comme les femmes formées à l’école de Rousseau, Elvire aime à s’émouvoir, à sentir son cœur battre et ses yeux se mouiller de douces larmes. M. Anatole France, en publiant les lettres adressées par elle aux Mounier, a justement signalé l’exaltation qu’elle apportait dans l’amitié. Vient-elle de lier connaissance avec Wilhelmine ? elle écrit aussitôt : « Comment n’être pas touchée de ses grâces, émue par le son de sa voix et pénétrée de son doux accueil ? Quand elle m’a dit, avec ce sourire d’une mère adorable, qu’elle avait eu l’envie de m’envoyer son enfant le matin, je ne puis vous dire ce qui s’est passé en moi. Mon cœur s’est gonflé et j’aurais eu le besoin de lui dire avec des larmes que j’étais indigne de tant de bontés… » Est-elle séparée de ses amis ? Il lui faut des nouvelles ; elle s’inquiète et elle souffre de l’absence. « Quel ami êtes-vous devenu, monsieur ? Quoi ! Pas un mot de quinze jours et pas plus de signe de vie que si j’étais à la Chine ! Ah ! que je voudrais être comme vous, ne vous plus aimer du tout, et ne m’occuper dans ma solitude que du chant du rossignol… » «…Je vous vois si loin, si loin, et je suis sur votre retour tellement dans le vague que j’en pleure. Voyez la sottise d’aimer des ingrats !… » A tous ces traits on reconnaît la femme « sensible. »

De Rousseau encore Elvire a appris à considérer l’amour comme une vertu. Cette idée, qui va inspirer tout notre lyrisme moderne, est en contradiction absolue avec celle qui avait jusque-là défrayé notre littérature. L’amour était, pour nos classiques, une faiblesse indigne des grands cœurs, à moins que ce ne fût la source de grandes lâchetés et de grands crimes. C’est maintenant une vertu, un signe de noblesse, un mouvement généreux, qui élève l’homme au-dessus de lui-même. « L’amour véritable, écrit l’auteur de la Nouvelle Héloïse, est un feu dévorant qui porte son ardeur dans les mitres sentimens et les anime d’une vigueur nouvelle. C’est pour cela qu’on a dit que l’amour faisait des héros. » Et encore : « L’ardent amour en t’inspirant tous les sentimens sublimes dont il est le père, t’a donné cette élévation