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révélation « sensationnelle, » et de cela nous nous félicitons. Mais ils retracent une histoire vécue, abondante en péripéties, au total inconnue, d’où se dégagent quelques utiles enseignemens. Ils complètent le dessin d’une vie mémorable, et ils en ébauchent une autre en regard. Nous croyons, en publiant ces pages intimes, ne pas céder simplement à un goût d’indiscrétion et de vaine curiosité. D’ailleurs, à l’intérêt psychologique et moral se joint parfois, ici, l’intérêt des faits et des choses. Chemin faisant, ces pièces éclairciront certains points de biographie, en rectifieront d’autres. Solange, qui mériterait peut-être une étude, rend en un sens cette étude superflue par la façon dont elle se peint dans ses lettres. Sur certains faits de la vie de son mari Clésinger, ou de Chopin, Chopin et Clésinger déposeront eux-mêmes. Témoignages très instructifs. Mais ce qui ressort surtout de ces papiers jaunis, ce qui s’affirme avec une décisive autorité, c’est la supériorité de vues, le constant courage, le dévouement inébranlable dont George Sand multiplia les preuves dans ses lettres à Solange enfant, à Solange jeune femme et mère, à Solange épouse malheureuse, à Solange libérée et tentée par la carrière littéraire. Dans cette haute direction vers le bien qu’elle désira lui imprimer toujours sans tyranniquement la lui imposer, George Sand nous apparaît sous trois aspects nouveaux, et comme dans trois rôles : rôle d’éducatrice pendant la formation ; rôle de défenseur et de directeur de conscience pendant la crise morale : plus tard, rôle de guide et de conseiller littéraire. Ainsi se présente-t-elle à nous, partout mère infatigable, et digne assurément d’être mieux écoutée. La plupart des malheurs de Solange lui vinrent de n’avoir prêté qu’une oreille indocile à cette voix. Parfois le bonheur nous manque, et parfois aussi c’est nous qui lui manquons.

Un beau caractère manqué, une vie manquée, sont choses qui tournent à la confession délicate, sous la plume des intéressés. Et puis, à côté d’eux, il y a les autres. Aussi une certaine réserve s’imposait-elle à nous, dans le choix de nos documens. Quoiqu’il ne s’agisse que de personnes disparues, ce n’est pas à des morts qui ont souffert de leurs fautes que l’on doit toute la vérité. Nous avons dit ici du moins toute celle qui était utile à connaître, toute celle qui était compatible avec le respect des personnes. Et nous tâchons d’unir, dans cet exposé sincère, quelques égards nécessaires à beaucoup d’impartialité.