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mains ne résident pas sur leurs terres et ne régissent pas eux-mêmes leurs propriétés. Ajoutez le déplorable état sanitaire de nos campagnes, sauf dans cette riche Olténie d’où partit jadis le mouvement révolutionnaire de Tudor Vladimiresco et qui fut vingt ans sous la domination de l’Autriche. Les médecins des districts ne suffisent pas encore à enrayer la mortalité des enfans : quant aux grandes personnes, elles meurent comme elles veulent, et comme le veulent surtout les promiscuités où elles vivent, leur médiocre alimentation, et les baisers aux Saintes Images qui propagent les maladies, car la religion … Ici, le petit couplet obligatoire sur l’affranchissement des consciences par la science et sur le bonheur paradisiaque que les chimistes sont en train de nous élaborer dans leurs cornues. Enfin, conclut-il, rappelez-vous notre proverbe que l’eau passe et que les cailloux restent. Les iniquités passeront, et avec ces paysans, sur lesquels ont roulé tant de flots torrentiels, nous édifierons la cité future, la démocratie rurale.

La douceur des vallées olténiennes ne permet pas qu’on soit pessimiste. Et d’ailleurs, je goûtais assez ce socialisme sans rhétorique et sans haine. Tout en devisant, nous nous enfonçâmes dans les gorges de l’Olt, jusqu’aux scieries de Lotru, où, par cette belle journée de la fin d’août, l’orage nous surprit et la grêle nous mitrailla, avec la soudaineté et heureusement la brièveté d’une révolte de paysans.

viii. — léourdeni

Léourdeni, dernière étape avant le retour à Bucarest, et la plus douce ! Sur la pente d’une petite colline où se chauffent les vignes, et devant un parc qui monte et semble profond comme une forêt, s’élève une vieille demeure seigneuriale, construite à plusieurs époques, mais harmonieuse, blanche et noble, et dont les pignons au toit débordant ont toujours l’air de vous souhaiter la bienvenue. Si vous me demandez pourquoi je l’aime, je vous dirai que de la terrasse on domine la vaste plaine roumaine et que nulle part je n’en ai mieux senti la beauté pacifique. Quel grand sourire après ces grands orages ! Les champs de maïs ondulent, ombragés jusqu’au ras du ciel d’îlots d’arbres qui s’égrènent devant cette mer libre. Les charrettes y passent, pareilles à des tortues ; dont on distingue à peine les petites