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de dédicace nationale, qu’avait célébrée dans le dôme de Cologne le romantisme expirant, n’effaça ni ne compromit le souvenir de la dédicace religieuse qu’avait faite, pour l’éternité, la piété chrétienne du XIIIe siècle. Au contraire, en achevant le monument, la patrie allemande exauçait l’antique dévotion. Cela mettait Henri Heine en rage ; on eût dit que, sardoniquement, il s’essayait à jeter un sort pour faire avorter l’entreprise.


Ce dôme devait être la bastille de l’esprit ; et les rusés papistes pensaient : Dans cette prison de géant se consumera le génie de l’Allemagne. Alors vint Luther, et il jeta un grand cri : Halte ! Depuis ce jour, la construction du dôme est abandonnée… Ainsi inachevé, c’est le monument de la force de l’Allemagne et de sa mission protestante. Pauvres sots du Domverein, vous voulez de vos faibles mains continuer l’œuvre interrompue, et vous voulez achever la vieille prison ! Pauvres fous ! On ne l’achèvera pas, le dôme de Cologne, quoique les sots de la Souabe aient envoyé pour la construction tout un vaisseau rempli de pierres. On ne l’achèvera pas, malgré les cris des corbeaux et des hiboux qui regrettent la nuit du passé et nichent dans les hautes tours des églises. Un jour viendra où, loin de l’achever, on fera de la nef une écurie.


Ainsi vaticinait Henri Heine ; et puis, une autre fois, il rêvait d’une promenade nocturne qu’il faisait, escorté d’un licteur, dans les rues de Cologne : entrant dans la ténébreuse cathédrale, il y trouvait les Mages assis sur leur châsse, et l’un d’eux, l’interpellant, réclamait d’être respecté, parce que mort, parce que roi, parce que saint. Le poète l’interrompait d’un sarcasme : un mort, un roi, un saint, ce sont là choses du passé ! « Allons, partez, la joyeuse cavalerie de l’avenir va camper ici. » Et le licteur, docile, mettait les squelettes en poudre.

Cette pulvérisation n’était qu’une bravade ; Heine allait compromettre Luther dans sa propre défaite. Il criait : « Halte ! » aux architectes du dôme, comme d’après lui Luther avait crié ; les catholiques rhénans passaient outre. Un jeune jurisconsulte, Auguste Reichensperger, succédant à l’énergie un peu fatiguée des Boisserée, allait, sa vie durant, prêcher la foi gothique, corollaire de la foi catholique. Dès son enfance, il avait aimé le vieux monument ; il groupait dès 1840, pour en soutenir les travaux, une association de bonnes volontés, ce Domverein que persiflait Henri Heine ; alors que se déroberont les souverains auxquels Louis de Bavière tondait la main, le Domverein continuera de soutenir de ses aumônes l’art gothique retrouvé. Une lettre aux