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séduit par la finesse de la notation psychologique, par la justesse du sentiment et celle non moins grande de l’expression ; car c’est un grand charme de trouver des gens qui pensent juste et qui sachent dire ce qu’ils pensent. Et, après tout, on préfère au maniement assez facile des ficelles scéniques, le jeu changeant des nuances morales. La Massière est de la meilleure veine de M. Lemaitre. C’est une comédie de demi-teinte, souvent exquise, où nous goûtons cet infini plaisir d’entendre dialoguer des personnages qui sont bien nos contemporains, et qui pourtant sont des êtres de conscience scrupuleuse, débattant enfermes choisis des problèmes délicats.

On a souvent mis à la scène le personnage du vieillard amoureux. C’est un personnage de comédie ; l’erreur de Corneille et de Victor Hugo est de ne pas s’en être aperçus. Encore n’est-ce pas nécessairement un grotesque. Et, à condition qu’on ne fasse pas sa vieillesse trop chenue, et qu’on ne lui prête pas des propos trop avantageux, son cas peut être intéressant et appeler, à défaut de sympathie, une sorte de pitié. Après un certain âge, en effet, on n’est plus guère exposé à l’amour coup de foudre : on ne court pas grands risques de recevoir le soudain et violent coup au cœur, où il n’est pas possible de se méprendre et qui est sûrement de l’amour. Mais pour un danger auquel on échappe, on n’est pas quitte avec le danger. L’ennemi ne vous assaille plus de haute lutte et front découvert ; mais il s’insinue et il se déguise. On éprouve pour une jeune fille une tendresse qu’on ne s’avoue pas d’abord à soi-même, mais qu’ensuite on ne songe pas à s’interdire, puisque c’est, à n’en pas douter, un sentiment tout paternel, une tendresse de père à fille, et que la différence des âges est un sûr garant de son honnêteté. La pitié se met de la partie : on se fait presque un devoir de protéger un être faible et qui n’a de secours à attendre que de vous. On est sensible à des marques de reconnaissance, et on ne voit pas qu’on cherche à y surprendre l’aveu d’une affection partagée. A mesure qu’on est davantage envahi par la passion grandissante et quand on commence à voir clair dans son propre cœur, on s’irrite, on en veut à ceux qui y ont su lire plus tôt que vous. On en vient à les braver, à défier l’opinion, à crier tout haut son secret, à se donner le change à soi-même, à tenir son erreur pour un droit, sa faiblesse pour une vertu. Béni soit alors l’incident qui vous arrache à votre folie, au moment même où elle vous menait grand train vers l’abîme !…

Tel est le cas que M. Jules Lemaître nous expose en nous contant l’histoire du peintre Marèze. Celui-ci est un grand artiste, et c’est un