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pour nous tout l’intérêt de la pièce ; mais il est inséparable de celui de Mme Marèze. Au surplus, Mme Marèze ne tient pas seulement le rôle du chœur antique : c’est une femme qui défend son bien ; c’est un être vivant, concret et complexe. Elle éprouve, à l’égard de ce mari qui côtoie l’infidélité, autant de pitié pour le moins que de colère ; c’est pour elle-même, et c’est pour lui qu’elle veut le sauver ; elle souffre, elle s’irrite, elle reproche, elle ne déclame pas ; elle manœuvre dans une situation difficile avec des alternatives de maladresse passionnée, et d’habileté instinctive. C’est l’honnête femme, sentant, parlant, exactement comme peut le faire une honnête femme. Et elle ne se contente pas de raisonner, elle agit. C’est même, dans toute la pièce, le seul personnage qui agisse, et c’est elle qui va, par son intervention, désigner Juliette à l’amour de son fils.

En effet, un jour que Juliette est venue dans l’atelier de Marèze, en l’absence de celui-ci, elle y rencontre le fils du peintre, Jacques ; une conversation s’engage entre les deux jeunes gens ; et ils découvrent, avec une espèce de ravissement, qu’ils ont toute sorte d’idées en commun. Mme Marèze les surprend, et indignée de trouver encore une fois dans l’atelier de son mari cette massière de malheur, elle interpelle violemment la jeune fille. Frappé de l’injustice maternelle, qui contraste d’ailleurs avec l’habituelle placidité de Mme Marèze, Jacques se sent tout de suite attiré vers Juliette par la sympathie qu’on a pour une victime. C’est le premier germe d’un amour qui va désormais rapprocher les deux jeunes gens. Il ne sera pas nécessaire qu’il se passe beaucoup de semaines : Jacques a bientôt décidé d’épouser Juliette Dupuy, et il s’ouvre d’abord de ce beau projet à sa mère.

On a prétendu que Mme Marèze devrait accueillir d’enthousiasme l’idée de ce mariage qui lui apporte le moyen radical de guérir Marèze et de couper net son absurde aventure sentimentale. Et c’est bien ainsi qu’elle eût fait, si elle eût été le personnage abstrait qu’on a voulu voir en elle. Mais les craintes de la femme qui défend son bonheur conjugal n’ont tué en elle ni la sollicitude de la mère qui veille sur la dignité de la famille, ni les scrupules et les aspirations de la bourgeoise. Son premier mouvement est pour refuser d’admettre que son fils puisse épouser celle dont son mari a eu l’esprit trop occupé ; c’est sa délicatesse qui se révolte. Et comme elle ne peut invoquer un tel motif, elle en trouve tout de suite un autre qui a bien sa valeur. Cette fille d’aubergistes, qui a connu avec Marèze des années difficiles, qui a vu lentement s’édifier sa fortune, qui est parvenue à une