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fait qu’un homme ne se croit pas très coupable pour avoir remarqué une autre femme que la sienne. Au surplus, il pouvait croire qu’il ne manquait à aucun devoir strict, et qu’il ne violait aucune loi sociale ou naturelle. Mais le jour où il se trouve en présence de son fils, tout change. Sa chimère lui apparaît, non pas seulement absurde, mais coupable. C’est un brusque réveil, c’est un soudain retour à la santé. Et le vieillard, guéri de sa courte folie, reprend son rôle de chef de famille en imposant à sa femme, comme à son fils et à sa nouvelle fille, ce mariage qui va rendre au foyer le bonheur et la dignité. Ce dénouement ou quelque autre analogue nous eût mieux satisfaits que celui auquel s’est arrêté M. Lemaitre.

Nous avons fait connaître, au cours de l’analyse, les personnages de Marèze et de sa femme ; ce sont eux qui occupent le premier plan, et ils sont, l’un et l’autre, présentés avec une sûreté de main presque égale. Ceux de Juliette et de Jacques Marèze ne sont, en quelque manière, que des rôles secondaires ; c’est à leur occasion que se dessinent les figures maîtresses ; ils ne nous intéressent pas par eux-mêmes. Encore ne fallait-il pas leur prêter une physionomie trop conventionnelle. M. Lemaitre a évité cet écueil, du moins pour le rôle de Jacques Marèze : il a dessiné un type charmant d’artiste jeune, enthousiaste, qui a, pour le moment, tout un lot d’idées abracadabrantes, qui y croit dur comme fer, et qui en reviendra. Juliette est trop parfaite, trop intéressante, trop résignée. C’est la « jeune fille pauvre » des romans et des comédies sentimentales.

Une pièce toute d’analyse, de nuances morales, et dont le sujet, qui risquait de devenir scabreux, est sauvé à force d’honnêteté, de sincérité et de candeur ; voilà la Massière. Le dialogue vaut par la simplicité, par le naturel, par la mesure. C’est la délicatesse de touche et la discrétion qui font de cette comédie un charmant ouvrage. Si tel en est bien le caractère, il faut reconnaître qu’il est souvent faussé par l’interprétation du principal rôle. On a reproché à M. Guitry d’avoir donné à Marèze quelques années de trop. Si c’était là son unique erreur ! Mais il a alourdi le rôle, il en force les effets, il le tourne au comique et au comique gros. Il fait de Marèze un vieux lion qui rugit sous les taquineries. Un homme agacé par une femme jalouse, et à qui on rend la maison insupportable par de continuelles scènes de ménage, tel est le Marèze qu’il nous présente, et qui fait rire toute la salle, cela est vrai, mais d’un rire un peu épais.

Mme Judic joue avec autorité le rôle de Mme Marèze ; je ne sais si elle n’en accentue pas le côté raisonneur ; et peut-être n’était-il pas