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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/937

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Puis vient l’affaire de son procès ; et cette fois il le gagne. Aussitôt voici surgir M. Loyal, avec une note de frais si extravagante, que ce procès gagné va le ruiner plus que n’aurait pu faire un procès perdu. Il a cessé de quereller Célimène et d’en être jaloux ; il l’a épousée ; et voici en quels termes cette belle apprécie son époux :

Au temps où me faisant sa cour
Alceste à mes genoux rugissait son amour,
Ce troubadour transi, doublé de belluaire,
Eut parfois l’art et l’heur de ne pas me déplaire.
Outre qu’à franc parler la peur qu’il m’inspirait
N’était pas, à mes yeux, sans charme et sans attrait,
A sentir sous mon pied cette bête matée
Se débattre à la fois soumise et révoltée…
Vainquant avec péril et dès lors avec gloire
Je goûtais à son prix l’orgueil de la victoire.
D’accord. Mais aujourd’hui qu’il montre humanisé
Les talens d’agrément d’un ours apprivoisé
Apte à la contredanse et souple à la voltige
Ce qu’il acquiert en grâce il le perd en prestige.

Au surplus Alceste est un mari confiant… et trompé. Si vous voulez savoir le nom de l’amant, qu’il vous suffise de vous souvenir qu’Alceste avait un ami et qui s’appelait Philinte.

Le mérite de ce genre de compositions est celui d’un pastiche bien fait. M. Courteline s’est approprié la langue, le vers de Molière et plus d’une fois ce dialogue savoureux et cette versification pleine de réminiscences ont fait courir un frisson de contentement dans un public de dilettantes. Il a d’ailleurs, plus ou moins volontairement, conservé au personnage d’Alceste la demi-obscurité et le coin d’énigme qu’y a mis Molière. Car on a beaucoup discuté, depuis les romantiques, sur la question de savoir si Alceste ne serait pas un « héros, » le porte-parole du poète, chargé par celui-ci de dire son fait à l’humanité. Cette interprétation est sans doute fausse pour une bonne part. Alceste, pour Molière, est un ridicule ; c’est un fâcheux ; et le comique de son rôle vient de la disproportion entre les objets de sa colère et cette colère même. L’Alceste que nous présente M. Courteline peut bien avoir essayé de se réconcilier avec le genre humain ; il était d’avance condamné à échouer dans cet essai loyal. Il est gêné dans son nouveau rôle : il manque de préparation ; et il s’y comporte avec plus de maladresse que dans l’ancien. Il ignore l’art de renvoyer content un poète, prêt à prendre, pour le plus sincère des complimens, quelques mots de banale politesse. Il est surpris qu’un procès entraîne des frais, comme