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travail où écrivait Dumas. Le fils docile s’arrête au seuil de ce sanctuaire ; mais au bout de quelques minutes, entendant de formidables éclats de rire, il pousse la porte. Quelle ne fut pas sa stupéfaction de trouver en effet son père tout seul, devant sa table ? « Comment ! ces rires… — Ah ! mon cher, ce que j’écris est si amusant ! » Victor Hugo ne s’est pas amusé en écrivant Angelo. Il a exécuté cette pièce, par devoir, comme un pensum. Il en a pris la fable au sérieux et les déclamations au tragique. Et la pièce une fois mise à la scène, il s’est efforcé d’y découvrir une philosophie. C’est ce qu’il expose dans sa préface. Nous y apprenons qu’Angelo contient un grand enseignement et que c’est une pièce destinée à éclairer l’humanité. Victor Hugo a pris le jeu des portes et fenêtres des mélodrames pour un système de politique, les déguisemens de ses personnages pour de l’histoire et les coups de gueule de ses comédiennes pour de la psychologie. Effort doublement malheureux d’un grand poète pour s’abaisser aux inventions des plus vulgaires dramaturges, et d’un dramaturge inférieur pour se hausser aux conceptions d’un penseur.

Mme Sarah Bernhardt a été infiniment remarquable dans le rôle de la Tisbe, au premier acte surtout, où elle a trouvé des attitudes et des intonations d’une exquise coquetterie. Dans le reste de la pièce, elle a mis tout le pathétique, toute la violence, toute l’émotion souhaitables. Et si l’ensemble de l’interprétation est assez médiocre, il faut tirer hors de pair M. de Max, le seul comédien qu’on pût trouver aujourd’hui pour jouer le rôle d’Homodei avec conviction.


RENE DOUMIC.