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et de son rôle ; et il en est bien peu qui n’y eussent entièrement souscrit.

Voici Du Bellay. Certes, il attachait un certain prix, et un grand prix à la Défense et illustration de la langue française. Mais son manifeste une fois lancé, voyez comme il s’en désintéresse. Il ne prend même pas la peine d’en revoir et d’en corriger les éditions successives[1] : à part quelques autres rapides escarmouches, il est tout à son œuvre d’humaniste et de poète. C’est que pour lui, comme pour Ronsard, la critique n’est pas une fin, mais un moyen, un moyen de ruiner une certaine notion de l’art et d’en faire triompher une autre. Ce triomphe une fois assuré, ou du moins préparé, ils s’empressent de retourner à leurs vers, et de réaliser par des œuvres non abstraites leur propre idéal. La critique n’a été qu’un accident, un épisode dans leur vie. Ce sont des artistes égarés un moment dans la critique.

Cette conception un peu intéressée et, si l’on osait dire, apologétique de la critique a duré bien près de trois siècles. Corneille, Racine et Molière n’en ont pas eu d’autre. Quand l’un composait ses Examens ou ses Discours, le second ses Préfaces, et le troisième sa Critique de l’École des Femmes, ils n’avaient tous trois pour objet que de défendre et de légitimer leur façon personnelle de comprendre leur art. Ils étaient poètes, dira-t-on, et rien n’est plus naturel. Mais ceux mêmes qui sont nés critiques n’agissent pas autrement. La critique ne leur suffit pas ; pour consacrer leur réputation littéraire, c’est sur la littérature d’imagination qu’ils comptent. Chapelain se croit tenu d’écrire la Pucelle. Malherbe ne se serait pas reconnu le droit de régenter comme il l’a fait les auteurs ses contemporains ou ses devanciers, s’il n’avait lui aussi prêché d’exemple et fait œuvre de poète. Boileau de même. Nous n’en sommes assurément plus, comme au temps du romantisme, à refuser à l’auteur des Satires tous les dons proprement poétiques ; très volontiers nous lui reconnaissons certaines parties du vrai poète. Mais enfin, Boileau est avant tout pour nous un critique, et nous ne voyons pas très nettement ce que l’Art poétique eût gagné à ne pas être écrit en vers. Lui-même et ses contemporains en ont jugé tout autrement. Personne, de son temps, n’a été tenté de lui retourner son fameux : « Que n’écrit-il en prose ! » qui parfois,

  1. Voir l’excellente édition de M. Henri Chamard, Fontemoing, 1904.