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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/127

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qui, de son propre aveu, s’est cantonné exclusivement dans la critique, et qui y a dépensé sans compter des trésors d’esprit, de bon sens, de lucidité et d’expérience morale. M. Emile Faguet, — car c’est lui, — est ici trop modeste, comme toujours. Il feint d’ignorer que la critique, telle qu’il la pratique avec quelques autres, exige des dons aussi rares que le roman, le théâtre ou la poésie ; il affecte même de croire qu’elle « n’a aucune espèce d’influence ; » en un mot, il oublie ses livres. Mais on peut en appeler contre M. Faguet à M. Faguet lui-même. Il nous avoue quelque part certains « péchés de jeunesse, » des vers, des commencemens de romans ou de nouvelles. Il n’aurait pas jeté au feu ces essais juvéniles, il aurait récidivé, et récidivé publiquement, bref, il ne se serait pas condamné à ne faire que de la critique, s’il avait, dans son for intérieur, cru travailler à une œuvre moins élevée et moins utile.

Enfin, il y a un écrivain contemporain qui, celui-là, n’a jamais fait ni voulu faire que de la critique, qui y a mis son point d’honneur en quelque sorte, et qui a vu là un emploi suffisant de son activité littéraire. Jamais non plus il n’a failli à revendiquer hautement les droits et les prérogatives du genre qu’il avait délibérément adopté. Que de fois M. Brunetière n’a-t-il pas déclaré que la critique elle aussi était « une forme de l’action ! » Et qui ne se rappelle ici même la belle page, véhémente comme un défi ou une déclaration de guerre, où il exposait le programme de sa vie et sa conception de la critique[1] ! La critique ainsi comprise est non seulement utile, elle est indispensable à l’écrivain d’imagination ; elle éclaire et elle lui crée son public ; elle le met en garde contre ses défauts, elle l’aide à prendre conscience de lui-même, à exploiter utilement son talent ; elle est pour lui la plus précieuse des collaboratrices ; à un point de vue plus général encore, elle entretient, elle renouvelle le culte des chefs-d’œuvre ; elle relie entre elles les générations successives ; elle jette sur toute sorte de sujets des idées dans la circulation : n’est-ce pas là un emploi de la vie et de la pensée qui en vaut un autre, et qui, pour être différent peut-être, ne le cède à aucun autre en noblesse, en intérêt général et en utilité sociale ?

Et si l’on trouve que ce sont là des théories de critique trop

  1. Voyez dans la Revue du 1er janvier 1892 la fin de l’article Sur la « Littérature ».