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critique l’égal en dignité du roman et de la poésie même, a été, toute sa vie durant, — et c’est là la piquante originalité de son « cas, » — un critique à contre-cœur et comme malgré lui.

Et pourtant, qu’il le voulût ou non, sa critique s’enrichissait tous les jours des expériences, même malheureuses, qu’il tentait en divers sens. Déjà, avant 1830, sous l’influence des romantiques et de leurs vagues aspirations religieuses, il s’était ouvert à ces sortes de questions, et ses articles en portaient la trace. Mais, après la révolution de Juillet, un moment désemparé et ne sachant où se prendre, il se met bientôt et activement en quête d’une foi politique et sociale, et religieuse surtout. C’est d’abord au Saint-Simonisnie, puis à Lamennais qu’il s’attache, et l’action de ce dernier est si forte sur cette âme essentiellement mobile et « seconde, » que la critique de Sainte-Beuve va s’en trouver peu à peu transformée. La Préface, — non recueillie depuis, — de la première édition des Critiques et Portraits littéraires est bien significative à cet égard. « On n’aura pas de peine à saisir, déclarait Sainte-Beuve, dans les huit premiers articles qui ont tous été écrits avant 1830…, une intention littéraire plus systématique… que dans les suivans. Ceux-ci… ont avant tout une signification morale, et se rapportent à une littérature plus indifférente ou même légèrement désabusée. Malgré cette diversité assez sensible de nuance…, il semble qu’il reste encore une espèce d’unité suffisante dans le procédé de peinture et d’analyse familière qui est appliqué à tous les personnages, aussi bien que dans le fond de principes moraux et de sentimens auxquels on s’est constamment appuyé. C’en est assez peut-être pour que le lecteur arrive sans trop de secousses… de l’article Boileau où l’art et la facture poétique sont principalement en jeu à l’article sur l’abbé de Lamennais où la question humaine et religieuse se pose, s’entrouvre aux regards, autant que l’auteur l’a pu et osé faire. » Ainsi donc, le procédé général et la forme de l’enquête critique n’ont point, ou n’ont guère varié, et ce sont toujours des « portraits » que trace Sainte-Beuve ; mais le fond s’est insensiblement modifié : la préoccupation presque purement esthétique a fait place à la préoccupation morale et même religieuse.

Ces préoccupations nouvelles, Sainte-Beuve a essayé de les exprimer sous une autre forme, celle du roman, et c’est en 1834 que, déjà détaché d’ailleurs de Lamennais, il publie, — toujours sous l’anonymat, — son curieux livre de Volupté. « Ce sont tous