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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/138

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sous le regard ; il les a mêlés et fondus ensemble, les développant successivement ou parallèlement au fur et à mesure que l’ordre des faits les impose à son attention : cela, sans confusion, sans heurts, sans que cette complexité d’intentions et cette variété d’horizons fassent jamais perdre de vue l’objet essentiel, sans que l’unité d’impression en soit jamais altérée ou brisée. Rien de plus malaisé que de savoir, dans une œuvre de longue haleine, mener ainsi de front et conduire d’un même mouvement des idées directrices assez différentes, que de les maîtriser et de les grouper toujours autour d’une idée centrale, que de multiplier enfin les points de vue de détail sans nuire à l’harmonie générale ; rien aussi qui fasse plus d’honneur à l’écrivain qui y a une fois réussi. Ce mérite qu’on admire si justement dans l’Histoire des variations de Bossuet, Sainte-Beuve l’a eu dans son Port-Royal.

Ce n’est pas sans raison que nous rapprochons ici ces deux œuvres. Renan disait du Port-Royal que c’était un « vrai modèle de la façon dont il convient d’écrire l’histoire religieuse, » et c’est un modèle en tout cas qu’il a souvent imité. Le Port-Royal, en effet, n’est pas uniquement, mais il est presque essentiellement un livre d’histoire religieuse ; ou plutôt, pour parler plus exactement encore, c’est un livre d’histoire et de psychologie religieuses. Sans négliger, certes, le récit des faits et l’étude des controverses, Sainte-Beuve a concentré son principal effort sur les âmes. Ce qui l’intéresse surtout, ce qui le passionne, ce qu’il veut décrire avec la dernière précision, ce qu’il « voudrait faire passer dans les autres, » c’est ce qui différencie l’âme religieuse d’un Pascal de celle d’un Saint-Cyran, celle du grand Arnauld de celle d’un Nicole. La véritable histoire du jansénisme et de Port-Royal, ce n’est pas pour lui l’interminable querelle engagée au sujet des cinq propositions ; c’est le drame qui se joue dans la conscience de Pascal au moment de sa seconde conversion ; ce sont telles paroles familières de Saint-Cyran ou de M. de Saci nous peignant au vif l’état d’âme, le « moi profond » de ces pieux personnages. Et c’est à se représenter ces dispositions morales, à les faire pleinement comprendre de ceux-là mêmes à qui elles sont le moins familières que Sainte-Beuve a mis toute sa subtilité d’esprit, tout son tact, toute sa sympathie critique, et toute son expérience personnelle des choses religieuses. Il y a excellemment réussi, Flaubert lui-même, le