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la Transoxiane, les deux frères David Lacha, candidats au trône de Géorgie, les ambassadeurs des princes de Mossoul, de Fars et de Kerman, et celui du « Vieux de la Montagne, » avec Rokn Ed-Dine le Seldjoucide, sultan de Roum, le connétable Sempad, frère du roi d’Arménie, les autorités civiles et militaires de Chine, du Thibet, de Mongolie, de Corée, on vit, en costume d’apparat, les hauts lamas bouddhistes, le légat du Khalife de Bagdad, et le légat de « l’Apostoille » de Rome, frère Jean de Plan Carpin, moine de Saint-François, pénitencier d’Innocent IV.

Ce chemin de l’Extrême-Orient, que les envoyés du Pape avaient suivi, les Vénitiens le connaissaient depuis longtemps ; ils étaient en relations d’affaires avec les Mongols par la vieille « route de la soie ; » c’est par eux que le Tchinghiz Khan et ses successeurs étaient si exactement renseignés sur les choses de l’Occident. Ces marchands étaient les meilleures têtes politiques qu’il y eût dans toute la Chrétienté ; ils surent très vite discerner le profit qu’ils pourraient tirer de ces révolutions asiatiques. Les Génois, leurs rivaux, faisaient à Soudak un commerce très prospère : Djébé et Souboutaï, pendant leur fameux « raid » autour de la Caspienne, envoyèrent un détachement en Crimée avec mission expresse d’anéantir les établissemens des Génois ; plus tard, pendant la campagne de 1240, les Mongols s’acharnèrent à détruire Kiev et à ravager les routes qui menaient à la Baltique et aux ports de la Hanse. Les Vénitiens avaient dirigé les coups et recueillirent l’héritage. Pendant l’année terrible, 1241, l’attitude de ces négocians parut singulièrement suspecte : ils n’aimaient pas les Hongrois, et ils montrèrent, quand les cavaliers mongols arrivèrent tout près de leurs lagunes, à Spalato, à Udine, une tranquillité telle que les contemporains en furent scandalisés. Ces marins, ces marchands s’arrangeaient fort bien d’un état politique qui mettait toute l’Asie sous une même domination et permettait d’y trafiquer sous la protection du grand Khan ; la terre aux Mongols, à eux la mer et le commerce. Quant au péril de la Chrétienté, ils s’en rapportaient, pour y pourvoir, à Dieu et au Pape : Siamo Veneziani, poi christiani ! Dans tout l’Empire mongol, jusqu’en Chine, on trouvait des Vénitiens, trafiquant, intrigant, sachant se rendre utiles. Marco Polo et ses deux oncles s’établirent à Pékin en 1274, mais, dès 1256, leur aîné, André, était installé à Soudak ; d’autres, sans doute, l’y avaient précédé ; dès 1235, les Mongols