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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/183

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par la mort de sa petite-fille, Jeanne Clésinger. Une fois de plus, elle venait d’échapper au désespoir, au suicide qui l’avait jadis tentée. Rentrée à Nohant auprès de la petite tombe, rendue et comme ressuscitée à la nature berrichonne, au travail, et à la société de son fils, — ses trois consolations éternelles, — elle pouvait, rassérénée maintenant, parcourir les étapes du véritable calvaire qu’elle avait gravi, entre cette année 1847 où elle avait commencé l’Histoire de ma vie, et l’année 1855 où elle l’avait achevée. Dans cette courte période, la mère avait vu le naufrage du bonheur de sa fille ; l’amie avait dû rompre l’attachement qui lui tenait le plus au cœur ; la grand’mère avait mis au tombeau une suprême espérance. Nous ne disons rien des déceptions de la politique, de la banqueroute de 1848, de l’Empire prévu par George Sand, subi en silence, mais jamais accepté : du moins, de ce côté, des réparations s’entrevoyaient-elles à échéance. Le reste, malheureusement, était irrémédiable.

L’année 1847 avait été triplement néfaste à son cœur. Trois mots la résument : luttes, tortures, ruptures ; et les trois acteurs de ce drame intime s’appellent Solange, Clésinger, Chopin. La fille, le gendre, l’ami d’hier passé au camp ennemi, tels sont les trois adversaires avec lesquels George Sand eut simultanément à compter. Le mariage de Solange fut le point de départ de ces diverses hostilités. Et, de ces tristes débats, peu de témoignages aujourd’hui survivent. Chose pire ; ceux qui ont survécu semblaient jusqu’ici accuser George Sand/Solange, dans ses lettres à Mme Bascans, se plaint que sa mère ait manqué de cœur envers elle[1]. Dans ses lettres à Chopin, elle précise, détaille et aggrave ; de vilaines questions d’argent brochent sur le tout. Chopin, de son côté, écrivant à sa famille, présente son « hôtesse, » aussitôt après la rupture, sous le jour le plus déplaisant[2]. Si bien que, à en juger sur ces seuls indices, on a pu porter de très bonne foi sur George Sand un jugement défavorable. Mais ce ne sont là que des apparences. Le caractère de George Sand ne s’est pas plus démenti à l’occasion du mariage de sa fille qu’en toute autre conjoncture grave de sa vie. Seulement les circonstances de la rupture avec Chopin, comme celles mêmes du mariage de Solange, n’ont jamais été jusqu’ici bien connues. Enfin, plusieurs fils sont ici brouillés ensemble, qu’il s’agit de

  1. La fille de George Sand, p. 71.
  2. Carlowicz, ouv. cité.