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d’avertir nos amis à une lieue à la ronde. Nous avons fait venir le maire et le curé, au moment où ils y pensaient le moins, et nous avons marié connue par surprise. C’est donc fini, et nous respirons.


Il semble que nous entendions le soupir de soulagement de la mère qui a vu sa fille côtoyer les abîmes.

Aussitôt après, elle se ressaisit. Elle n’est pas longue à se faire illusion. Elle connaît trop Solange pour espérer d’elle une passion durable, ou la transformation d’un amour de tête en attachement de cœur. Et Clésinger s’est fait juger à son acte. Elle commence à deviner sa vraie nature : plus bouillant qu’inspiré, plus bruyant qu’énergique, tumultueux, désordonné, dépensier, débraillé peut-être, d’ailleurs d’instruction nulle ; et quant à l’éducation… Une angoisse la saisit. Que sera le lendemain pour sa fille ? Que sera-t-il pour elle-même ? Car si Clésinger, dilapidant la dot de sa femme (ce qu’elle semble avoir prévu tout de suite)[1], vient planter sa selle d’atelier à Nohant, et bouleverser sa vie de méditation et de travail, que deviendra-t-elle ? Elle prend un parti rigoureux, mais prudent, qu’elle signifiera bientôt à sa fille. Nohant sera toujours ouvert à Solange, « si elle venait à se brouiller avec son mari ; » quant à ce gendre imposé dont elle a le procédé sur le cœur, elle déclare ne plus vouloir le connaître. C’est dans ces dispositions que Solange, au retour du voyage de noces, la trouve à sa grande stupeur. Elle s’en plaint à Chopin[2], qui, lui aussi, avait dû s’exiler de Nohant sur ces entrefaites, nous dirons tantôt pourquoi. Elle s’en étonne. Ceci prouve seulement sa jeunesse. Au reste, de cette jeunesse, et de son inexpérience, elle allait multiplier les preuves durant le reste de cette année 1847, qui fut pour une jeune mariée, élevée comme l’avait été Solange, une terrible année d’apprentissage.

Solange, d’ailleurs, ne faisait-elle pas son mea culpa à demi-mot, lorsqu’elle écrivait à Chopin, au milieu de ses plaintes :

  1. En se mariant, Clésinger avouait 24 000 francs de dettes. Il ne disait pas tout.
  2. « Je l’ai trouvée très changée, mais froide comme de la glace, et même dure. Elle a commencé par me dire : que si je me brouillais avec mon mari, je pourrais retourner à Nohant ; que, quant à lui, elle ne le connaissait pas… » (Lettre du 10 novembre 1847). — Même note, dans la lettre précédente ; affaires d’argent dans la lettre suivante, et plaintes sur l’abandon où sa mère la laisse (Carlowicz, ouvrage cité). — Doléances identiques, mais d’un ton plus adouci, dans la lettre à Mme Bascans (la Fille de George Sand, p. 57-60).