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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/200

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avait longtemps qu’elle a reçu de vos nouvelles. « Il y a une semaine, m’a-t-elle répondu. — Vous n’en aviez pas hier, avant-hier ? — Non. — Alors je vous apprends que vous êtes grand’mère : Solange a une fillette, et je suis bien aise de pouvoir vous donner cette nouvelle le premier. » J’ai salué et je suis descendu l’escalier. Combes l’Abyssinien (qui du Maroc est tombé droit dans la Révolution) m’accompagnait, et comme j’avais oublié de dire que vous vous portiez bien, chose importante, pour une mère surtout (maintenant vous le comprendrez facilement, mère Solange), j’ai prié Combes de remonter, ne pouvant pas grimper moi-même et dire que vous alliez bien et l’enfant aussi. J’attendais l’Abyssinien en bas quand Madame votre mère est descendue en même temps que lui et m’a fait avec beaucoup d’intérêt des questions sur votre santé. Je lui ai répondu que vous m’avez écrit vous-même au crayon deux mots le lendemain de la naissance de votre enfant, que vous avez beaucoup souffert, mais que la vue de votre fillette vous a fait tout oublier. Elle m’a demandé si votre mari était près de vous, j’ai répondu que l’adresse de votre lettre me paraissait être mise de sa main. Elle m’a demandé comment je me portais, j’ai répondu que j’allais bien, et j’ai demandé la porte au concierge. J’ai salué et je me suis trouvé square d’Orléans à pied, reconduit par l’Abyssinien[1]


Solange à Chopin.

Mars 1848.

Mon bon Chopin, j’ai reçu ce matin la lettre où vous me parlez de ma mère. Oh ! s’il est vrai qu’elle ait eu l’air de prendre intérêt à ma santé, faites-lui savoir mon malheur. Si elle est encore à Paris, qu’elle sache tout ce que je souffre, et combien j’ai besoin de consolations. Il est impossible que Clésinger quitte Paris. C’est bien assez que l’hôtel de Narbonne soit saisi par les créanciers de ma mère [nous avons montré plus haut la fausseté de ce terme]. Moi-même je lui écris tous les jours pour lui donner du courage et le forcer à rester. Mais ce que je vous demande est peut-être bien inutile. Elle ne bougera pas[2]

George Sand « bougea » si bien, que Chopin écrit à Solange, le 22 mars :

Je suis fort heureux des bonnes lettres que Madame votre mère vous a écrites.

Son ressentiment avait fondu subitement à la nouvelle de cette tristesse succédant à cette joie. La mère se réveillait chez la grand’mère. Tout de suite, elle s’emploie auprès de ses amis

  1. Ici encore, nous vérifions la véracité de l’Histoire de ma vie : « Je le revis un instant en mars 1848. Je serrai sa main tremblante et glacée. Je voulus lui parler, il s’échappa… Je ne devais plus le revoir. » (IV, 413.) Le détail qui suit « Gutmann n’était pas là, » est aussi exact. Le dévoué Gutmann était le seul capable d’adoucir Chopin, et d’amener une détente, que George Sand souhaitait.
  2. Voyez la lettre in extenso dans Carlowicz, ouvrage cité.