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pendant que les mauves se ferment, des vers luisans, etc. Enfin, il n’y a rien de plus gentil que cette petite fille-là.


Pendant ce temps, la malheureuse Solange disputait la possession de sa fille à l’avocat de son mari, Bethmont (qui paraît bien avoir montré de la dureté dans toute cette affaire) ; courait de couvent en couvent pour chercher un asile ; se rabattait ensuite sur une médiocre pension de famille, bref, menait une vie lamentable, entrecoupée d’accès de désespoir. En novembre on lui fait espérer une séparation prochaine :


Dieu le veuille ! mais j’en doute, ce serait trop de bonheur… Le cœur n’est bon qu’à faire souffrir… J’ai fait bravement l’amputation du mien, et j’ai suicidé une à une mes espérances les plus chères, mes aspirations les plus ardentes, mes illusions les plus douces. J’ai une amie très sincèrement pieuse qui voulait me convertir. Je m’y serais prêtée volontiers, si j’avais pensé réussir. Mais j’aime trop à raisonner ou à m’expliquer tout pour avoir la foi, qui est une passion d’instinct et d’aveuglement comme l’amour. La consolation de la religion m’étant refusée, j’ai cherché à m’étourdir ; le travail est le moyen le plus honnête, le plus sûr et le plus durable. Je pense donc sérieusement à travailler. A quoi ? Je n’en sais rien encore. Mais le plus difficile est fait : c’était de vouloir.


Même date [fin novembre].

Je trouve que rien ne peut m’arriver de pire que d’être séparée de ma fille. Ce serait un grand malheur pour elle aussi. J’ai continué à repousser une séparation basée sur cette condition… Ah ! je trouverais cela affreux, qu’elle passât ses premières années sans caresses, sans câlineries, sans ces mille soins inutiles dont sont privés les orphelins et qui font le charme et la poésie de l’enfance. Une enfant qui grandit sans baisers, c’est une plante qui croît sans soleil. Son esprit est triste et son cœur froid, comme la fleur qui s’ouvre à l’ombre est étiolée et sans parfum. Oh ! non, je ne me déciderai jamais à l’élever loin de moi, et le jour où je consentirai à m’en séparer, ce sera pour me tuer.

Au fait, en y songeant, je m’aperçois que le suicide est ma seule religion. Je serais bien malheureuse, si je ne savais pas cette dernière ressource toujours à ma disposition… Est-ce que la vie vaut tant de peines ? Certes non. Ce qui fait que je l’endure chaque jour un jour de plus, c’est que je sens entre mes mains le pouvoir d’y mettre ordre, quand la souffrance sera trop forte et le vase rempli.


La situation, si tragiquement tendue, se détend tout à coup.

Le comte d’Orsay, un des protecteurs officiels de Clésinger, se porte médiateur entre le mari et la femme. Le sculpteur promet une fois de plus d’observer le traité qu’on lui soumet ; Nini