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Inutiles prévisions ! Trois jours après, le 13 janvier 1855, Nini mourait, et mourait dans sa sordide pension. Le petit corps était ramené à Nohant, déposé sous le grand if auprès de celui d’Aurore de Saxe, grand’mère de George Sand, et une simple croix de marbre recevait cette inscription : JEANNE-GABRIELLE, FILLE DE SOLANGE, NÉE A GDILLERY, LE 10 MAI 1849, MORTE A PARIS DANS LA NUIT DU 13 AU 14 JANVIER 1855.

Ce coup de tonnerre terrassa les deux femmes. De longtemps la grand’mère ne peut se ressaisir. Elle pleurait tout le long du jour, inerte ; la nuit, elle avait des visions. Elle en a raconté une dans des pages inachevées qui ont vu le jour en 1904 seulement[1]. Elle poursuivait, de son crayon incertain, la ressemblance toujours fuyante de l’enfant disparue[2]. Enfin, au bout de deux mois elle fit l’effort de s’arracher à cette tombe fraîche pour se réconcilier avec la vie sous le ciel italien.

Solange faillit devenir folle, puis tomba dans un morne abattement. Reprise, elle aussi, peu à peu à la vie, elle devait désormais, épouse sans mari, mère sans enfant, laisser flotter son existence aux hasards d’une périlleuse liberté.

Quant à Clésinger, perdu de dettes et menacé de Clichy, il était en fuite.


SAMUEL ROCHEBLAVE.

  1. Après la mort de Jeanne Clésinger (dans Souvenirs et Idées, 1904).
  2. Dessins conservés dans un album qui appartient aujourd’hui à Mme Aurore Lauth-Sand, petite-fille de George Sand.