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hommes qui l’entourent. Les hommes sont faibles ; les institutions sont nulles. Tantôt on lui demande la liberté intégrale, comme si ce remède énergique ne devait pas faire plus de mal que de bien dans un corps social sans organisation et sans expérience. Tantôt on attend de lui, avec plus de bon sens, un certain nombre de réformes appropriées à l’état du pays. Mais par lesquelles commencer ? Les problèmes les plus difficiles surgissent à la fois, sans préparation antérieure et sans transition, et, pour en rendre sans doute la solution plus aisée, on jette des bombes sous les voitures de victimes désignées et condamnées par des sociétés secrètes, avec la froide férocité qui caractérise généralement ce genre de conspirations et de conspirateurs.

La guerre extérieure, avec ses surprises douloureuses, a donné une accélération redoutable au péril intérieur. Les ménagemens que nous devons à des amis malheureux ne sauraient nous empêcher de dire que les leçons de la guerre ont mis à jour de graves défauts dans l’administration générale du pays. L’armée en a eu sa part. Il est naturel que l’esprit public en ait été vivement frappé ; mais si le moment est toujours bon pour corriger ses défauts, il ne l’est pas toujours pour les dénoncer avec acrimonie. Nous ne cesserons de rappeler l’exemple que les Anglais ont donné pendant la guerre Sud-Africaine. Ils ont éprouvé, eux aussi, de fâcheuses déconvenues ; mais ils n’en ont laissé rien voir pendant la guerre, ni même après ; et, lorsqu’une victoire chèrement achetée a récompensé enfin leur persévérance, ils se sont appliqués silencieusement à perfectionner leur instrument militaire. Il est vrai que l’organisation politique de l’Angleterre est admirable, et que les mœurs publiques qui en ont été, comme on voudra, la cause ou l’effet, sont le témoignage le plus manifeste de la pleine santé d’une nation. On ne saurait attendre tout à fait la même chose de la Russie. Mais il faut souhaiter qu’après les secousses qu’elle traverse elle retrouve le plus tôt possible son équilibre, et pour cela deux choses sont nécessaires, deux choses qu’on ne peut malheureusement pas réaliser par un coup de baguette magique : des réformes et la paix.

Les réformes sont à l’étude : puissent-elles être suffisantes ! Pour ce qui est de la paix, les Russes sont seuls à même de savoir à quel moment et dans quelles conditions ils devront la faire. Il serait indiscret de leur donner à ce sujet des conseils qu’ils ne demandent pas-Tout ce que nous voulons dire de la paix, c’est qu’elle est nécessaire aux réformes. Le bruit du canon n’est pas pour celles-ci un