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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/253

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le plaisir d’adresser des injures au parti aristocratique, qu’il n’aimait pas ; mais il est obligé de les mettre dans la bouche d’un scélérat, ce qui ne leur donne guère d’autorité. A la manière dont il dépeint les adversaires des aristocrates, c’est-à-dire les conjurés et leur chef, on ne peut pas faire des vœux pour eux ; c’est bien en réalité le Sénat et le consul qui défendent l’ordre public et l’on est forcé, à quelque opinion qu’on appartienne, d’être de leur côté. Le peuple au contraire joue un rôle misérable ; il attend les événemens pour se déclarer, et se tient prêt à tout détruire, au premier succès de Catilina. On ne peut donc pas prétendre que le livre de Salluste soit fait pour glorifier le parti populaire.

Il y a plus de vraisemblance dans l’hypothèse qu’a soutenue Mommsen. Selon lui, Salluste aurait composé le Catilina pour établir que César n’a pas fait partie de la conjuration. On l’en avait beaucoup accusé et il faut bien reconnaître que les apparences lui étaient contraires. Probablement Salluste ne croyait pas ces accusations fondées ; il comptait peut-être que l’innocence de César ressortirait de la manière dont il allait raconter les faits ; mais ce n’est pas une raison de penser que ce soit uniquement pour le prouver qu’il en ait entrepris le récit. S’il avait voulu faire une véritable apologie de César, le ton n’en serait-il pas différent ? Se serait-il contenté, pour le justifier, d’omettre son nom dans la liste des conjurés ? Quand il le voyait attaqué en plein Sénat par des accusateurs de métier que soutenaient de grands personnages, n’aurait-il pas cru devoir fournir quelques explications précises qui auraient rétabli la vérité ? Contre des attaques formelles, violentes, vraisemblables, le silence ne suffisait pas, il fallait donner des preuves. On ne comprendrait pas qu’il ne l’eût fait nulle part si vraiment il n’avait écrit que pour justifier César des soupçons qui pesaient sur lui. J’ajoute qu’il ne paraît pas, quand on lit Salluste, qu’il eût conservé pour son ancien chef une affection sans mélange. On trouve, dans ses prologues, quelques phrases qui peuvent prêter à des interprétations malveillantes. Par exemple, quand il malmène « ces espèces de gens, » comme il les appelle, qui ont été admis dans le Sénat par la protection du dictateur, le reproche ne retombe-t-il sur celui qui les y a introduits ? Salluste trouvait bon qu’on l’y eût fait rentrer, mais il aurait voulu y rentrer seul, et les collègues qu’on lui donnait n’étaient pas de