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tion habituels et, comme dans le somnambulisme, quoique à un moindre degré, les centres psychiques inférieurs agissent pour leur propre compte ; d’où le double caractère d’intelligence et d’illogisme que présentent les rêves.

On sait tout le travail intellectuel qu’on peut faire dans le sommeil : l’écolier apprend la leçon qu’il a lue avant de s’endormir, Tartini trouve sa sonate du diable, La Fontaine compose ses Deux Pigeons et Voltaire modifie tout un chant de la Henriade… Il y a donc vraiment dans le sommeil des actes psychiques, intelligens.

Mais, en même temps, il y a de l’illogisme dans le rêve qui est dirigé le plus souvent par des associations bizarres de mots et d’images ou par des sensations internes ou provoquées. Un bruit de cloche, réellement entendu, paraîtra un glas funèbre et fera assister le rêveur à son propre enterrement ou à celui d’un ami. À un sujet endormi Maury chatouille avec une plume les lèvres et l’extrémité du nez ; le dormeur rêve qu’on le soumet à un horrible supplice : des brigands lui mettent un masque de poix sur la figure, puis le lui arrachent en lui déchirant le visage. Un jeune homme, cité par Galien, rêve qu’il a une jambe en pierre : c’était le premier signe d’une paralysie qui se déclare peu après. Pour rêver d’un très beau jardin avec de l’eau et des fleurs, Mme Rachilde n’a qu’à regarder avant de s’endormir le bouchon de cristal bleu taillé à facettes d’un flacon en même temps qu’elle touche une étoffe de soie verte…

N’étant plus dirigés par les centres supérieurs, les centres psychiques inférieurs sont, dans le sommeil, ainsi dirigés par des impressions quelconques, superficielles ; d’où des associations et des successions d’idées et d’images sans lien logique.

Et, comme lady Macbeth, l’homme endormi perd toute prudence et toute discrétion et révèle, dans certains rêves parlés, des secrets dont, à l’état de veille, ses centres supérieurs ne lui auraient jamais permis de parler.

Dans le sommeil naturel nous trouvons donc une deuxième manifestation très nette, celle-ci physiologique et sans maladie d’aucun genre, de l’activité émancipée des centres psychiques inférieurs.


Chez l’homme normal éveillé, on peut aussi surprendre l’activité isolée de ce psychisme inférieur, quand les centres supérieurs sont fortement absorbés par une pensée et oublient ainsi