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sa jeunesse. L’affaire de Cologne, décisive pour lui comme pour l’Allemagne, l’avait fait émigrer de l’État vers l’Église ; on le retrouvait, peu d’années après, simple curé de campagne. Le temps n’était plus où Lacordaire le scandalisait parce que le Frère Prêcheur, dans son mémoire sur les ordres religieux, insistait sur ce qu’il y avait, dans la vie de ces ordres, d’éminemment démocratique ; Ketteler curé avait dépouillé le vieil homme, le noble ; Ketteler s’était fait peuple. Dans un brouillon de sa main, qui date de 1848, la noblesse est accusée de n’être plus qu’une caricature d’elle-même, et de s’être attachée à ses titres, avec une jalousie toujours plus vaniteuse, à mesure qu’elle désertait sa fonction sociale et ses devoirs envers les classes rurales. « Si la noblesse n’a plus ses racines historiques, terminait Ketteler, il est bon qu’elle meure. Si elle les a encore, elle saura derechef s’assurer un rôle pour la renaissance de l’Allemagne. Dans les deux cas, je vote pour l’abolition des titres. » Le féodal devenu prêtre s’asseyait, parce que prêtre peut-être, à l’extrême gauche de l’assemblée de Francfort, près du parti qui semblait le plus proche du peuple.

« Le prêtre catholique a un grand pouvoir, disait-il en 1847 à ses paroissiens, mais il doit seulement l’employer pour laver pareillement les pieds de tous, pour être secourable à tous dans leurs besoins… Dieu me donne cette dignité, non pour régner sur vous, mais pour vous servir, enfans et vieillards, riches et mendians. » En chacun de ses paroissiens, l’homme tout entier l’intéressait : « Leur corps, écrivait-il, me donne encore plus à faire que leur âme, et c’est une épreuve bien amère de pouvoir aider si peu. » Il lui semblait que la situation sociale de sa paroisse relevât en quelque façon de son ministère, et qu’elle lui créât une responsabilité. Dans son étroit champ d’action, il réalisait l’idéal dont bientôt, sur le siège de Mayence, il tracera les impérieuses exigences à l’Eglise d’Allemagne tout entière.

Trois ans avant de monter sur ce siège, il fut, en novembre 1848, invité à prêcher dans la cathédrale de Mayence, et ses prédications eurent pour thème les conceptions sociales du christianisme. Saint Thomas d’Aquin parut en chaire, avec une doctrine qui se donnait comme un remède : la notion chrétienne de la propriété s’afficha, avec une importunité, une vigueur, une hardiesse, dont seul le sermon de Bourdaloue sur l’usage des richesses peut donner une idée. Ketteler montrait, impitoyable,