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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/423

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sèche et grise, sont tristes, malpropres. Celle du pope n’est guère mieux tenue, malgré ses tapis roumains et les reproductions des journaux illustrés qui en décorent les murs. On n’entend dans tout le village que des enfans qui piaillent, l’aboiement d’un chien, le cri d’un coq. Mais de belles meules de blé ombragent les toits croulans ; des troupeaux paissent sur les pentes d’alentour. Ces paysans, dont les habitations misérables vous apitoieraient, loin de récriminer contre leur sort, s’estimeraient absolument heureux si leurs fils et leurs filles, nouveaux mariés, avaient le droit d’acquérir des terres. Comme les Allemands de Caramurat, ils se sont bâti une église qui leur a coûté quarante mille francs, une église en pierre, où les prophètes Moïse et Aaron, peints sur la voûte, suivent des yeux par les hautes fenêtres les rares passans du grand chemin.

J’ai visité jadis dans les déserts chiliens, que cette Dobrodja me rappelle, des bourgades ouvrières, à peine plus sordides. Les hommes enrégimentés en exploitaient les richesses pour d’autres hommes ; et je n’ai pas oublié la détresse dont leurs regards étaient chargés. Ici, les mêmes horizons de vide et de poussière ne s’appesantissent pas sur les âmes et n’éteignent pas la vie au fond des prunelles. Les femmes sortent vigoureuses de leurs multiples enfantemens. Dans leurs douleurs de mère, elles ont conscience de donner un futur maître aux sillons et aux pâturages. L’amour de la propriété embellit les plus farouches solitudes, et non seulement de la propriété individuelle, mais de la propriété commune. On commence par engraisser son lopin de terre, et, dès qu’on en a retiré sa subsistance, on lui fait rendre de quoi bâtir la maison qui, n’étant qu’à Dieu, appartient à tous, où tous viendront communier, si j’ose dire, dans le même sentiment et la même fierté du propriétaire. Chez soi, on se contente de peu ; mais ici, on ne lésine ni sur la pierre ni sur la peinture. Églises de la Dobrodja, c’est de vous que les plus pauvres enfans peuvent dire : « Cette église est à nous ! »

Et qu’on vive à leur ombre dans l’ignorance à peu près complète du reste de l’humanité, ce n’est point pour nous surprendre. Le silence des vastes espaces étouffe la curiosité, et les villages agricoles se suffisent à eux-mêmes. L’homme y concentre aisément toutes ses facultés de sentir : son amour-propre et ses passions lui permettent d’enfermer l’univers entre leur première et leur dernière cabane. Le comte d’Hauterive, pendant son voyage