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mérite qu’on l’aime. Qu’une nationalité se soit créée en plein XIXe siècle, que sept millions d’êtres humains aient retrouvé l’idée de la patrie, c’est à coup sûr un spectacle intéressant et réconfortant. Que cette patrie ait été, sinon sauvée, du moins sauvegardée, par l’établissement de la royauté et d’une royauté avec une dynastie étrangère, on en conclura, une fois de plus, qu’un pays a besoin, pour vivre, que l’homme qui est à sa tête et qui représente l’autorité s’élève, par sa naissance ou par sa volonté, au-dessus de tous les partis. La fameuse « question juive » ne me paraît en somme qu’une des formes du combat que les nations doivent soutenir contre ceux qui menacent de les submerger, que ces envahisseurs soient Grecs, comme dans la Roumanie du XVIIIe siècle, Juifs, comme dans la Roumanie du XIXe siècle, ou Chinois, comme en Amérique. Mais elle met aux prises deux théories. L’une ne voit dans la patrie que la terre ; l’autre n’y voit que le peuple. La première dit : « La Roumanie, c’est le territoire roumain : il s’agit avant tout d’en assurer la prospérité, et, comme j’estime que les étrangers y sont nécessaires, j’ouvre la porte aux étrangers. Il importe peu que la Roumanie devienne moins roumaine, pourvu que ses finances, son commerce, son industrie, son agriculture se développent et grandissent. » L’autre répond : « La Roumanie, c’est le peuple qui, sous d’abominables et de séculaires oppressions, a su conserver sa langue et son esprit. Il a payé trop cher son titre de roumain pour le partager avec les premiers venus. Ceux qui le dirigent ont le devoir de lui en maintenir la propriété exclusive. Qu’il exploite mal ses champs ou ses mines de pétrole, cela ne regarde personne. Je le préfère moins riche, mais plus lui-même. » Enfin ce peuple possède une colonie qui n’est pas encore colonisée. Des milliers et des milliers d’émigrans quittent chaque année l’Europe et appareillent vers l’Amérique. Il appartiendrait peut-être au gouvernement roumain d’en attirer un certain nombre et de réaliser, dans cette Dobrodja où les Romains n’avaient point dédaigné d’établir leur empire, la même fusion des races que les États-Unis dans leurs plaines de l’Ouest et l’Argentine dans ses pampas.


André Bellesort.