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qui semblait tourner à la révolution. À Louvain les grévistes assiégèrent la maison de M. Schollaert, président de la Chambre : la garde civique tua huit des leurs et en blessa quinze. Le 20 avril, sur un ordre du comité socialiste, tout rentrait dans l’ordre.

Ce mouvement populaire, le plus important qui se soit produit en Belgique depuis 1830, ne fut qu’une folle et désastreuse aventure. Les ouvriers avaient vainement sacrifié leurs salaires. Le gouvernement n’avait point cédé. On s’en prit aux auteurs responsables, les chefs socialistes ; leur héroïsme ne fut pas éclatant. L’un d’eux, assurait-on, un soir de manifestation qui pouvait dégénérer en bataille, assistait, au théâtre de la Monnaie, à une représentation de Wagner. Tandis que les uns reprochaient au comité d’avoir suscité la grève, d’autres l’accusaient de s’être arrêté à mi-chemin. À quoi les meneurs répondaient que de nouveaux massacres étaient à craindre, et qu’en cas de révolution triomphante, une intervention étrangère se serait produite. Mais la révolution n’était qu’un rêve ; la débandade était proche, une lutte était sur le point d’éclater entre les grévistes et les non-grévistes qui avaient hâte de reprendre le travail.

Les social-démocrates de Berlin se montrèrent sévères pour leurs élèves, les socialistes belges : Votre grève, leur disaient-ils, est le parfait modèle de la grève telle qu’il ne faut pas la faire, et nous n’admirons que le bon ordre de votre retraite. Ce sont les têtes et non les bras qu’il s’agit de révolutionner. Et le journal socialiste le Peuple, de Bruxelles, écrivait le 5 mai : « La classe ouvrière tirera profit de la terrible leçon qui lui a été infligée. De plus en plus elle délaissera la tactique révolutionnaire des Français, pour aller vers les méthodes réfléchies d’organisation et d’éducation de la social-démocratie allemande, avant-garde du socialisme mondial. »

Le parti ouvrier belge ne s’est pas encore relevé de cette défaite[1]. Le fruit de dix années d’agitation a été compromis en quelques jours. Les socialistes belges ont soulevé l’opinion contre eux. Aux élections partielles qui suivirent, ils perdirent sept sièges à la Chambre. La grève avait rompu leur alliance avec les libéraux. Mais ils estiment que les libéraux, s’ils conquièrent le pouvoir, ne pourront se passer d’eux.

  1. Vliegen, Enquête sur la grève générale.