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quant à leur foi en l’action révolutionnaire. Mais depuis qu’ils ont réussi à pénétrer dans les corps élus, deux courans se sont dessinés, qui tendent à s’écarter de plus en plus, entre les politiciens d’un côté et les syndicaux de l’autre.

Ceux-ci témoignent une défiance et une hostilité de plus en plus marquées aux politiciens. Révolutionnaires lorsqu’ils ne pouvaient pénétrer à la Chambre, prodigues en prophéties d’une révolution à brève échéance, les politiciens s’efforcent aujourd’hui de persuader aux ouvriers que leur intérêt est de les maintenir au pouvoir et d’accepter la hiérarchie des capacités qui met les travailleurs sous la direction des hommes politiques. Le rôle de ces intellectuels de la bourgeoisie, accourus au socialisme pour en prendre la direction, est fort analogue à celui des courtisans d’ancien régime[1]. « Laissez-nous jouir, disent-ils à la classe ouvrière, des avantages inhérens à la qualité de député et nous vous émanciperons progressivement, à petits pas, et par petits profits successifs. Le salut vous viendra de vos élus. Mais surtout, pas de troubles, pas de grèves insurrectionnelles, qui aillent compromettre et traverser notre action politique. »

Par là, dans l’opinion des militans ouvriers, les politiciens cherchent à énerver la classe ouvrière, à la berner par leur rhétorique, à la bercer d’espoirs factices, à la déshabituer de l’action périlleuse. — Et quels sont les résultats obtenus ? Alliés des partis bourgeois au pouvoir, comme en France, ils participent à la corruption, à la servitude des candidatures officielles, ils envoient les soldats sur les champs de grèves. Isolés dans l’opposition, comme en Allemagne et dans les autres pays, les socialistes au parlement sont réduits à l’impuissance.

Les syndicalistes révolutionnaires croient avoir trouvé dans la grève générale le genre d’action destiné à remplacer l’action politique. C’est ce qu’ils appellent l’Action directe. Tandis que le mouvement politique appelle à lui les élémens les plus hétérogènes, les intellectuels, les déclassés, les décadens, les ambitieux de la bourgeoisie, la grève générale est l’œuvre exclusive des classes ouvrières, et c’est ce qui fait sa force : même lorsqu’il ne s’agit que de la conquête des améliorations de détail, la grève, d’après les syndicaux, est autrement féconde que les

  1. Ce point de vue est développé dans la brochure de M. G. Sorel, l’Avenir socialiste des Syndicats, Paris, 1898, qu’il est indispensable de lire pour l’intelligence du mouvement ouvrier.