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d’ailleurs ni d’idées ni de style, a évidemment considéré comme indigne de lui d’appliquer à l’étude de Dürer les méthodes habituelles de la biographie et de la critique d’art. Au lieu de rassembler, de contrôler, et d’approfondir les données diverses que nous possédons sur la vie et l’œuvre du peintre allemand, il a préféré choisir, un peu au hasard, quelques-unes d’entre elles, et se livrer sur elles à des commentaires de sa fantaisie, comparant tantôt Dürer au Christ, et tantôt à Whistler ou au sculpteur Barye, ou encore se divertissant à contredire, sur tel ou tel menu détail d’appréciation, d’honnêtes et obscurs polygraphes dont l’avis n’a jamais eu pour personne aucune importance. Aussi, et quoique M. Sturge Moore nous prouve mainte fois qu’il sait sentir et comprendre très profondément le génie de Dürer, ne pouvons-nous guère tirer profit d’un livre où nous voyons trop que c’est lui-même, ‘ autant et plus que Dürer, qu’il a entrepris de nous révéler. Mais ce que son livre ne nous apprend point, sur la vraie vie et le vrai caractère du peintre des Apôtres, deux autres ouvrages nouveaux nous l’apprennent le plus heureusement du monde, ou du moins nous permettent de le deviner : un petit recueil des principaux écrits du vieux maître, — lettres, journal, poèmes, aphorismes esthétiques, etc., — et un gros recueil de photographies de tout l’œuvre peint et gravé de Dürer, soigneusement classé suivant l’ordre des dates. Hélas ! le recueil des écrits est loin d’être complet : bien des passages du Repas de l’Apprenti-Peintre, notamment, ne s’y trouvent point, qui auraient mérité d’y avoir leur place. Et, de même, le recueil de l’œuvre artistique de Dürer aurait été pour nous infiniment plus instructif qu’il ne l’est si l’on avait pu y admettre ne fût-ce qu’une centaine de ces prodigieux dessins dont la série, se poursuivant au long des années, contient et nous transmet les plus intimes confidences d’un grand cœur toujours enfiévré, toujours impatient d’épancher le torrent tumultueux de rêves qui se presse en lui. Mais n’importe : c’est Dürer lui-même qui se raconte à nous, dans ces deux recueils, c’est lui-même qui nous dit les circonstances de sa vie, et les impressions qu’il en a reçues, et les exemples ou les enseignemens qu’il en a rapportés. Parallèlement, de proche en proche, son art et ses écrits se déroulent devant nous nous aidant, mieux que tous les commentaires, à le pénétrer jusqu’au fond de l’âme. Le problème que nous présentaient ses portraits et les fragmens épars de son œuvre, nous sommes désormais en état de le résoudre. Et sans cesse sa noble figure, à la regarder ainsi de plus près, nous apparaît plus belle et nous devient plus chère.