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manuscrits, et qu’on pourrait traduire par ces mots : Manuel du candidat.

La lettre contient des observations générales, et d’autres qui ne s’appliquent qu’à la circonstance particulière pour laquelle Quintus l’écrivit. Je négligerai les premières, et j’y ai grand regret, car il est plaisant de voir comment se comporte à chaque époque le suffrage universel, ce qu’il a gardé aujourd’hui de ses anciennes habitudes et ce qu’il en a perdu. Mais cette étude nous entraînerait trop loin ; bornons-nous à y chercher dans quelles conditions eut lieu l’élection de Cicéron au consulat.

Quintus paraît dans toute sa lettre assuré du succès final de son frère. Du reste, il en aurait douté qu’il se serait bien gardé de le lui dire. Mais il ne lui cache pas non plus les obstacles qu’il lui faudra surmonter. Il y en a un qui lui paraît plus grave que les autres, ou plutôt c’est le seul qu’il semble redouter. Cicéron est ce qu’on appelle un homme nouveau, c’est-à-dire qu’aucun des siens n’a encore occupé à Rome de magistrature publique. La loi a beau proclamer qu’elles sont accessibles à tout le monde, l’habitude, plus forte que la loi, semble les réserver à l’aristocratie. On compte ceux qui en dehors d’elle sont entrés au Sénat ; depuis trente ans, il n’y a pas un seul homme nouveau qui ait été consul.

Voilà la difficulté contre laquelle se heurtait Cicéron, et elle était plus grave pour lui que pour les autres. Parmi les hommes nouveaux, il n’y en avait pas qui fût plus désagréable à l’aristocratie. D’abord il avait beaucoup de talent, et elle pouvait craindre qu’une fois établi dans le gouvernement de la république, il ne s’y fît une trop grande place. De plus, c’est un homme d’esprit, qui voit très bien les travers des autres et ne se gêne pas pour s’en moquer. S’il avait pris devant elle une attitude humble, s’il avait semblé lui demander pardon de son éloquence, de sa popularité, de ses succès, elle aurait pu oublier qu’il n’avait pas d’aïeux ; mais au grand tort d’être un roturier, il joignait celui d’avoir la roture impertinente. Il répondait à la fatuité des grands seigneurs par des plaisanteries cruelles, qui couraient le monde. Il a eu toute sa vie le travers de ne pas savoir s’abstenir d’un bon mot ; il trouvait « qu’il est plus difficile de le retenir sur ses lèvres que de garder un charbon ardent sur sa langue. » N’est-ce pas une des raisons qui ont fait que l’aristocratie n’a jamais été une alliée sûre pour lui ? On pardonne