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la faire cesser dès qu’on le voudra. Chacun des époux vit de son côté et dispose de sa fortune comme il l’entend. La femme, qui n’est guère gênée par les tuteurs que la loi lui donne, et qui ne sont le plus souvent que des complaisans ou des complices, administre ses biens à sa fantaisie. Elle vend, elle achète, elle prête, elle emprunte, et elle ne rend pas. Pourquoi hésiteraient-elles à imiter ce qu’on fait si souvent autour d’elles ? Soyons sûrs que Sempronia dut s’applaudir comme d’une conquête, quand elle s’attribua le droit, qui semblait plutôt réservé aux hommes, de faire banqueroute. Je crois bien qu’en s’engageant dans la conjuration, c’était encore un privilège des hommes qu’elle prétendait usurper. Elle entrait dans la politique, non pas en conseillère discrète, et comme derrière un voile, ce qui était souvent arrivé, mais ouvertement, au grand jour. Prendre part à une œuvre de violence qui allait révolter les honnêtes gens, n’était-ce pas une façon éclatante de rompre avec l’ancienne société et d’affirmer son indépendance ?

On voit bien les raisons que pouvaient avoir Sempronia et les autres pour écouter les propositions de Catilina ; mais Catilina, quels motifs avait-il de les leur faire ? Il est difficile de croire Appien, qui nous dit qu’elles devaient lui apporter l’argent dont il avait si grand besoin, quand on sait que la plupart d’entre elles n’étaient pas plus riches que lui. L’opinion de Salluste est plus vraisemblable. Il prétend que, comme elles avaient conservé, malgré leur détresse, un grand train de maison, il voulait profiter de cette multitude d’esclaves, qui remplissaient leurs demeures, pour mettre le feu à Rome, quand le moment serait venu. Salluste ajoute que Catilina comptait aussi sur elles pour gagner leurs maris à sa cause, ou, s’ils refusaient, pour les assassiner. Ce ton de parfaite indifférence avec lequel, à la fin d’une phrase, sans ajouter un mot, il nous donne ce détail atroce, montre bien qu’il n’en éprouvait aucune surprise. La femme romaine, en général, n’est pas tendre et douce de sa nature. Dans celle que le paysan du Latium ou de la Sabine choisit « pour lui donner des enfans, » les qualités qu’il préfère sont le sérieux et l’énergie. Sur le théâtre de Rome, la grâce, la tendresse, la passion sont réservées aux courtisanes : la femme de naissance libre est d’ordinaire raisonneuse et revêche. Quoiqu’elle dise quelque part qu’elle s’incline « devant la majesté de l’homme, » elle lui tient tête résolument, elle s’insurge contre lui, et l’histoire nous