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tiraillemens cruels, ne put manquer d’amener cet étrange imbroglio.

Ce que l’on sait du caractère de Gaspard de Vichy n’est pas, il faut l’avouer, en désaccord avec cette conduite immorale. Sauf « l’abbé de Champrond, » le trésorier de la Sainte-Chapelle, d’âme simple et d’humeur débonnaire, tous les Vichy de cette génération, le frère aussi bien que les sœurs, — Mme du Deffand et d’Aulan, — nous apparaissent sous les mêmes traits et sont coulés dans le même moule : tous gens d’esprit, cultivés, séduisans, mais égoïstes, durs, autoritaires, cyniques dans les propos, sans scrupules dans les actes. « Il faut convenir qu’ils sont bien singuliers, dit une personne du temps, payée pour les bien connaître. Le pauvre abbé a foncièrement bon cœur ; mais pour les autres, je crois qu’ils ne savent pas trop s’ils en ont un[1] ! » Ce témoignage émane de la propre femme de Gaspard, et c’est à ses enfans qu’elle fait cette triste confidence.

Avant de clore cette argumentation, il reste à relever certains v faits significatifs, qui résultent des documens qu’une bonne fortune a mis entre mes mains. Du mariage du comte de Vichy avec Diane d’Albon, naquit, l’année d’après, un fils, Abel-Marie-Claude[2], lequel fut à la fois, d’après ce que j’ai dit plus haut, le frère et le neveu de Mlle de Lespinasse. Pour cet enfant, de huit ans plus jeune qu’elle, elle se prit d’une spéciale tendresse ; dans la correspondance qu’elle entretint constamment avec lui[3], et dont je ferai grand usage au cours de cette étude, on ne peut méconnaître un accent tout particulier, celui d’une sœur aînée, pleine de sollicitude et doucement maternelle, qui, sans l’avouer ouvertement, se sent le droit et le devoir de veiller sur celui dont le bonheur, répète-t-elle fréquemment, lui est « plus cher et plus précieux que toute chose en ce monde. » Elle, si indifférente, pour ne pas dire hostile, à tout ce qui, de près ou de loin, tient à la famille d’Albon, elle qui écrira railleusement à Abel de Vichy : « Il me semble que vous ne voyez guère ou point vos parens d’Albon ; cela viendrait-il de ce que vous ne

  1. Lettre de la comtesse de Vichy, du 1er janvier 1768. Archives de Roanne.
  2. Né le 8 octobre 1740 et connu sous le nom de marquis de Vichy ; nous le retrouverons fréquemment dans la suite de ce récit. Le comte et la comtesse Gaspard de Vichy eurent un autre fils, Alexandre-Mariette, né le 21 avril 1743, qui mourut encore jeune, après avoir donné de grands chagrins à sa famille, dont il vécut presque toujours séparé.
  3. Cette correspondance inédite se trouve mi-partie à la bibliothèque municipale de Roanne, mi-partie dans les archives du marquis de Vichy, qui me l’a gracieusement communiquée.