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l’exemple dans la nuit du 4 août, renoncé à tous ses titres pour se contenter du nom de la terre de Mézières, dépendant de l’ancien domaine de Vassé. Il n’en conservait pas moins un certain orgueil de race, mais il était beaucoup plus fier de ses brillans succès au concours général, et des grades qu’il avait conquis à la Sorbonne, que de ses parchemins. C’est dire qu’il estimait par-dessus tout le mérite personnel. Les hommes distingués, quel que fût leur rang ou leur costume, trouvaient chez lui l’accueil le plus cordial. J’y ai vu le Père Lacordaire en tournée de prédication, assis à côté de Frédéric Cuvier, frère du grand naturaliste, zélé protestant, d’une famille de pasteurs. L’Université profitait surtout de cet éclectisme. Elle comptait à Metz des hommes de valeur que leur timidité ou leur modestie empêchait d’occuper dans le monde la place qui leur était due. Le recteur ne manquait aucune occasion de les faire valoir et de les placer à leur véritable rang dans l’estime publique.

Quels profonds sentimens de reconnaissance nous conservons, mes anciens camarades et moi, pour ces maîtres de notre jeunesse ! Braves gens dont quelques-uns manquaient de science ou de portée d’esprit, mais si honnêtes, si consciencieux, si appliqués à leurs devoirs de chaque jour. Ils nous ont appris à travailler et, ce qui est plus précieux encore, ils nous ont donné le goût du travail. L’un d’eux, M. Gelle, professeur de rhétorique, était tout à fait de premier ordre. Excellent élève des lycées de Paris, lauréat du concours général, rival de Victor Le Clerc, il possédait à fond l’antiquité classique. Il lui arrivait souvent de dicter de mémoire une version latine sans en avoir le texte sous les yeux. J’ai vu bien des fois mon père accomplir le même tour de force. Tous deux avaient appris très jeunes des pages de latin qu’ils avaient retenues. À cette connaissance des textes, M. Gelle joignait le goût, la finesse, la faculté de comprendre et d’admirer les beautés littéraires. Il parlait de ses auteurs favoris avec un feu, avec un enthousiasme communicatifs. Il ne se contentait pas de nous expliquer les belles œuvres, il nous en faisait sentir le charme ou la puissance en termes pleins de chaleur. Lorsque nous écoutions sa parole ardente et émue, il passait en nous quelque chose de l’émotion qu’il éprouvait lui-même. Aujourd’hui encore, nous ne pouvons relire certains passages sans revoir par la pensée sa mimique expressive, sans entendre l’accent vibrant de sa voix.