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LA
VOCATION DE LAMENNAIS

C’est une opinion assez communément reçue que Lamennais se décida ou fut poussé brusquement à entrer dans les ordres. La vérité est que rarement vocation fut débattue aussi longtemps que la sienne. Elle eut des phases capricieuses et peu connues qui embrassent une période de dix années, années obscures et d’un médiocre intérêt pour l’historien, mais qui offrent une ample matière aux réflexions du moraliste. J’ai essayé d’en faire le simple et exact récit.

Au mois d’avril 1815, un homme encore inconnu, mais dont le nom allait bientôt devenir célèbre dans toute l’Europe, débarquait sur la côte d’Angleterre. C’était Félicité de la Mennais : il avait alors trente-trois ans[1]. Son voyage, on pourrait dire sa fuite, avait été déterminé par la nouvelle promptement répandue dans toute la Bretagne du retour en France de Napoléon Ier. Or, le fugitif se croyait menacé du courroux impérial pour certains écrits publiés pendant la courte durée de la première Restauration, et dans lesquels en effet « Buonaparte » n’était pas ménagé. Si vive était sa frayeur que, ne s’estimant pas, même sur le sol anglais, à l’abri des recherches de la police, il avait changé de nom et se faisait appeler Patrick Robertson.

Dans la précipitation du départ, le futur auteur de l’Essai

  1. Né à Saint-Malo en 1782, il reçut au baptême les noms de Félicité-Robert. Ses proches l’appelèrent familièrement Féli, et plus tard ses disciples Monsieur Féli.