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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/71

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nos corps. Nous nous endurcissions aux intempéries des saisons. Nous ne connaissions pas même de nom l’anémie dont on parle tant aujourd’hui. Nous supportions le froid, le chaud, la neige, la pluie, le vent, le soleil sans en souffrir. Les exercices physiques, la natation, la gymnastique, l’équitation complétaient heureusement l’influence bienfaisante de la campagne.

Quel était l’état d’esprit de la jeunesse élevée dans ces conditions ? En général excellent : mens sana in corpore sano. Elle n’était pas exempte des défauts, ni même des vices de son âge : mais elle les rachetait par une qualité, l’amour du travail. Les nombreux candidats qui se destinaient aux écoles militaires entretenaient l’émulation parmi leurs condisciples. La perspective d’un concours les obligeait non seulement à bien faire, mais à faire mieux que d’autres. Il en résultait dans les hautes classes un effort continu, une poussée de travail pour arriver au premier rang. Dans les études de mathématiques élémentaires, ou de mathématiques spéciales où se réunissaient les internes, le maître pouvait s’absorber dans des préoccupations personnelles, s’absenter, disparaître, l’application n’en souffrait pas un instant. Chacun tenait trop à ne pas perdre une minute pour distraire son voisin ou pour se laisser distraire par lui. Comme le disait un jour un de nos maîtres : On mettrait un chapeau à ma place, les élèves ne s’en apercevraient même pas.

Au milieu de l’entraînement général il fallait une certaine force d’âme pour ne pas se laisser tenter, comme presque tous, par la perspective de l’épaulette. Dans une ville où les officiers donnaient le ton, où presque toutes les familles comptaient un militaire dans leurs rangs, comment résister à la contagion de l’exemple ? En ce qui me concerne, je n’eus pas à lutter contre la tentation. Une autorité supérieure y mit bon ordre. Mon père, quoiqu’il fût le petit-fils d’un maréchal de camp, quoiqu’il connût supérieurement l’histoire militaire de l’Empire, peut-être même à cause de cela, parce qu’il avait trop vu l’envers de la gloire, ne voulait pas donner son fils à l’armée. Il avait sur ce point des idées très arrêtées. Universitaire dans l’âme, il ne concevait pus pour moi d’autre carrière que celle qu’il avait suivie lui-même. Aussi s’appliquait-il à développer en moi le goût des lettres et, m’y trouvant quelques dispositions, il ne cessait de m’encourager.

Il s’en fallut de peu cependant qu’un dissentiment n’éclatât