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lettres d’hippolyte taine.


d’hui la ville était tranquille, joyeuse, et applaudissait les marins qui rentraient. Toute la journée, le canon a grondé vers les hauteurs de Châtillon, à Clamart, et probablement vers le Petit-Bicêtre. Le Mont-Valérien, qui était à nous, a tiré sur la principale colonne des insurgés, l’a coupée en deux ; la queue s’est enfuie en désordre vers Paris, la tête et la grosse moitié se sont trouvées entre le Mont-Valérien et Versailles ; à Paris et à Versailles, on compte qu’en ce moment, elle a mis bas les armes.

J’ai vu les quais, la rue de Rivoli, le boulevard Saint-Michel ; d’autres ont vu Montmartre, Charonne, les Champs-Elysées. Partout des gardes nationaux par deux, par trois, quelques-uns portant plusieurs fusils, tous l’air déconfit, et la mine longue. De même sur la gauche du chemin de fer entre Sceaux-Ceinture et Bourg-la-Reine ; ils couraient à la débandade, et beaucoup de femmes avec eux : ce sont leurs mégères qui les excitent. Une femme est montée en wagon ; elle était venue de Clamart où les boutiques étaient fermées. On se battait vers le moulin de Châtillon ; selon elle, les gardes nationaux fuyaient.

Vous aurez des nouvelles des journaux avant cette lettre ; cependant, je vous donne ces détails en manière de continuation ; je crois maintenant que Paris sera soumis dans huit jours. On parlait de dix mille, trente mille gardes nationaux prisonniers, d’un grand massacre fait par le Mont-Valérien. Cependant la Commune prodigue les décrets violens ; Thiers et les ministres accusés, leurs biens séquestrés, le budget des Cultes supprimé, les biens des corporations religieuses confisqués. Ils s’arrangent de façon à discréditer pour toujours la République. Leurs journaux, notamment la Montagne, demandent la guillotine. Cependant les omnibus circulent dans Paris, les chemins de fer fonctionnent, on voit des dames et des enfans dans les rues.

Je ne fais pas de leçon vendredi. J’irai à Châtenay dans quelques jours pour m’y établir.

Aucune lettre de vous depuis trois jours : je sais que pas une lettre n’est arrivée de Versailles, ni de Paris.


A Madame H. Taine.
Mardi 4, Orsay.

Pas de lettre de vous encore ; elles sont arrêtées à Paris ou restent à Versailles ; écrivez-moi par Libon ou par M. Questel ;