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revue des deux mondes.


D’après les journaux, je compte que ce soir l’insurrection sera comprimée, et qu’ainsi, vous pourrez quand vous voudrez revenir à Châtenay ; prenez un passeport à Tours.


A Madame H. Taine.
Oxford, 25 mai.

Aujourd’hui je n’ai le courage de vous rien dire. — J’apprends à l’instant les horreurs de Paris, l’incendie du Louvre, des Tuileries, de l’Hôtel de Ville, etc. — Les misérables ! Ce sont des loups enragés. — Et avec du pétrole ! Que pourra-t-on sauver de pareilles flammes ? Jamais les Prussiens n’en auraient fait autant. — Ces brigands qui s’attaquent aux monumens, aux chefs-d’œuvre, se mettent en dehors de l’humanité. — Les journaux anglais disent qu’ils ne demandent pas quartier, qu’on ne leur en fait pas, que les troupes et les officiers les tuent et les fusillent par vingtaines, qu’on amène à Versailles des escouades de femmes armées, auxquelles on est obligé de mettre les menottes. — J’ai le cœur navré, je n’ai de courage à rien ; je ne puis prendre aujourd’hui sur moi de faire des visites.

J’étais à la Bibliothèque de l’Université quand le bibliothécaire m’a appris cela et m’a montré les journaux. En présence de ces folies et de ces misères, on traite un Français avec une sorte de sympathie compatissante. J’ai vu la salle où je parlerai, elle ne tient guère que cent cinquante personnes. Je viens d’assister à une leçon du professeur de poésie, M. Doyle, sur Massinger, Beaumont et Fletcher. Environ cinquante personnes, dont les deux tiers de dames. Il lit, et froidement, d’un ton monotone, et, ce semble, peu distinctement. L’épreuve, je crois, sera moins redoutable que je n’imaginais.

Nous avons tous ces jours-ci un temps très chaud et très lourd. Aujourd’hui, pluie continuelle, et toujours partout l’odeur de suie. Je devrai tâcher de voir enfin le vice-chancelier que j’ai manqué deux fois hier, mais ces horribles événemens de Paris me rendent muet aujourd’hui.

J’ai travaillé jusqu’à une heure et demie à ma leçon de demain, qui est presque prête.