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vu… Nos offices étaient probablement sans pendant dans le monde, par leur vulgarité. Ils auraient choqué un brahmane ou un bouddhiste, et ils n’eussent certes pas été supportés en Angleterre, si le goût et la perception de l’idéal n’avaient été engloutis dans le même naufrage que la dévotion. » « Je ne sais, disait-il encore, si la Chrétienté offrit jamais le spectacle de communautés de chrétiens plus froides, plus dénuées de dévotion et de respect religieux… Nos églises et notre culte n’attestaient que trop une indifférence glaciale. » Et il n’hésitait pas à confesser que cette situation était « le scandale de la Chrétienté[1]. »

Bien que principalement doctrinal, le Mouvement dont Newman et ses amis avaient pris l’initiative, peu après 1830, en publiant les Tracts for the Times[2], devait forcément faire naître le besoin d’une rénovation du cérémonial. En éveillant, d’une façon générale, la curiosité sympathique des choses catholiques, en suscitant le désir de se rattacher, dans la vie extérieure de l’Anglicanisme, aussi bien que dans sa vie intérieure, aux traditions d’avant la Réforme et de se remettre plus ou moins en harmonie avec l’Eglise universelle, en rehaussant l’idéal religieux, en recherchant le sens perdu du symbolisme liturgique, en ravivant la notion effacée du surnaturel et du mystère, en ouvrant des horizons depuis longtemps fermés à la piété et à la dévotion, on faisait naître, dans les intelligences, dans les cœurs et dans les imaginations, des besoins auxquels l’ancien culte ne pouvait satisfaire. Et surtout, du moment qu’on entendait restaurer la foi à la présence réelle et rendre au sacrifice eucharistique la primauté rituelle qu’il avait perdue, comment ne pas se sentir mal à l’aise dans ces églises froides et dénudées qui, par leur disposition même, n’étaient que des salles de prêche, où il n’y avait plus d’autel, et où l’on discernait à peine, à travers les bancs à haut dossier et derrière la chaire du prédicateur ou le pupitre du lecteur, la misérable table de bois, sur laquelle, en de très rares occasions, se célébrait, sans honneur et même souvent sans décence, le service de la communion[3] ? Ne devait-on pas être

  1. Discours à la Chambre des communes, du 9 juillet 1874. Article publié dans le Contemporary Review d’octobre 1874. — Cf. aussi A Chapter of an Autobiography (1868).
  2. Pour l’histoire du Mouvement d’Oxford, je me permets de renvoyer aux deux volumes que j’ai publiés sur la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle.
  3. On en peut juger par ce qui se passait encore au milieu du dernier siècle, dans certaines paroisses où des desservans âgés avaient gardé les vieilles habitudes. M. Kegan Paul, appelé, en 1852, à prendre la charge d’une paroisse du diocèse d’Oxford, décrit ainsi la façon dont le vieux Vicar y administrait la communion : « Le vin pour la communion était placé sur la table, dans une bouteille noire. Une fois, le bouchon n’avait pas été retiré. Le vicaire se tourna alors vers ceux qui s’agenouillaient à la balustrade pour communier, et demanda si un gentleman ou une lady avait un tire-bouchon. Cet instrument ayant été obtenu (je suppose du cabaret d’en face où, par occasion, on se procurait des stimulans pour le vieux curate pendant le sermon), on procéda au service. On ne célébrait ce rite qu’à Noël, le vendredi saint et le jour de Pâques. Une très digne vieille femme se présenta un jour de Pâques ; quand le recteur s’approcha d’elle, à la balustrade, il lui dit : « Hallo ! Mrs Boffln, vous ici encore ! Pourquoi ? je vous l’ai donné vendredi ; je ne vais pas vous le donner encore. Allez-vous-en ! » Ce que fit la pauvre femme tout en pleurs. » (Memories, by Kegan Paul, p. 182.)