maire qui administre à Bouhousi dix-sept cent cinquante-sept Roumains, dix-sept cent trente et un Juifs, et cent vingt-trois Autrichiens ou Allemands, ces derniers employés et ouvriers à la fabrique, tous catholiques. Ajoutez trois Arméniens, et vous aurez la population de ce bourg aussi hétérogène que pacifique. Le grand rabbin, Israël Friedmann, nous manda qu’il était prêt à nous recevoir ; mais, dans le cas où la langue allemande ne nous serait pas familière, il nous priait de nous faire accompagner d’un interprète, car il ignorait le français et, s’il comprenait le roumain, il ne le parlait pas.
Hier à Piatra, sur une hauteur qui dominait la ville, on me disait : « Là où vous ne voyez pas d’arbres, ce sont les quartiers juifs. » Cette différence est encore plus marquée dans les bourgs. Le Juif ne cultive autour de sa maison ni fleurs ni plantes. L’arbuste y dépérit, l’herbe s’y fane. Son esprit abstrait, que l’éducation talmudique enfonce dans la sécheresse, semble préférer aux jardins ombragés les cours aussi nues que des tables d’abaque. Leur absence de verdure donne aux bourgs juifs un aspect misérable que n’a pas le plus pauvre hameau roumain. Et Bouhousi n’est qu’un assemblage d’échoppes dont la crasse efface le peinturage et de boutiques larges et basses, pareilles à des déballages de pacotille sous des arcades délabrées. Nous traversons une ruelle d’auvens enguirlandés d’oignons et des rangées de tables saignantes où les bouchers juifs ont un air de sacrificateurs ; et voici tout à coup une maison seigneuriale, badigeonnée de rose, avec ses deux ailes, sa cour et son enclos de murailles.
Sur le perron de l’aile droite, c’était un grouillement de cafetans noirs, de papillotes, de barbes grises et de barbes blondes, de grosses bottes, de dos courbés et d’yeux inquiets. Devant l’aile gauche, se promenaient à l’écart deux jeunes dames de forte prestance, en robe bleue traînante, les poignets cerclés d’or, de l’or aux oreilles, de l’or au cou, une mantille sur les cheveux : les filles du rabbin. La porte du milieu nous fut ouverte ; nous aperçûmes une enfilade de salons, et l’on nous introduisit dans un riche cabinet de travail. Le grand prêtre s’avança vers nous.
Il était gros, le cou large, le visage d’une majesté replète. Sa main molle, sa soutane en soie, ses papillotes ramenées derrière ses oreilles, son collier de barbe lisse, ses yeux humides et bleus, ses lèvres charnues d’où glissait un sourire qui ne les plissait pas, toute sa personne était comme baignée d’une