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Verrières, proteste, dénonce l’irrégularité de cette manœuvre, nous sommes tenté de prendre parti contre lui, contre cet empêcheur de se défendre, contre ce conseiller de capitulation, qui, faute d’estomac, va achever de tuer l’entreprise et ruiner définitivement cette foule d’actionnaires dont le seul tort est d’avoir une fois de plus été dupe du mirage des gros intérêts et des perspectives de gains illimités… Cela ne met-il pas bien en son jour le mécanisme spécial de l’illusion théâtrale, et ne montre-t-il pas quelle peut être, à l’occasion, la puissance de séduction et la dangereuse immoralité de cette forme de littérature ?

Les Ventres dorés sont remarquablement mis en scène à l’Odéon, et l’éloge, cette fois, doit aller moins à tel interprète qu’à l’ensemble même de l’interprétation et aux mouvemens de foule, réglés avec un art — dont au surplus le public se lassera promptement.


Pendant de longues soirées, un public nombreux a écouté au Vaudeville, avec attention, avec sérieux, avec inquiétude, la représentation d’une pièce allemande : la Retraite. C’est un événement qui, à vrai dire, est d’ordre moral plus encore que littéraire, et dont je voudrais seulement indiquer le caractère.

La pièce est, par elle-même, sans mérite éclatant, et, dans l’échelle des valeurs artistiques, ne s’élève pas au-dessus d’une honnête moyenne. C’est un drame bien fait, solidement charpenté, par un ouvrier de théâtre qui sait son métier. L’auteur ne s’est pas mis en frais d’imagination, et il s’est contenté de la première histoire venue, de l’une des plus banales qui soient au théâtre et dans le roman, celle de la fille d’un vieux brave séduite par un jeune seigneur : le père tue sa fille, aimant mieux la voir morte que déshonorée. Ce père aurait pu être un vieil intendant, ou un vieux garde-chasse ; c’est ici un vieux maréchal des logis. Le lieutenant de Lauffen a séduit Claire, la fille du maréchal des logis chef Volkhardt. Lorsque le fiancé de Claire, Helbig, autre maréchal des logis, revient de l’école de cavalerie de Hanovre, il est frappé du changement de la jeune fille à son égard. Il flaire l’intrigue. Le soir, après la retraite, il vient demander à Lauffen une explication d’homme à homme, et s’emporte jusqu’à lever la main sur son supérieur. Il faut donc qu’il passe en conseil de guerre ; et il se pourra qu’il obtienne le bénéfice des circonstances atténuantes ; mais les règlemens militaires sont formels : Helbig doit être puni. Devant le conseil de guerre, les deux hommes, sans s’être concertés, s’accordent pour dissimuler la cause véritable de la querelle : c’est Claire qui spontanément révèle aux juges la vérité. Au dernier acte, le vieux