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ce qu’il nous est aujourd’hui possible de connaître des mœurs et des coutumes anglaises du temps. Et son enquête a eu pour effet d’établir, avec une évidence irréfutable, qu’il n’y a pas un des documens susdits dont nous ayons le droit de tirer les conclusions qui nous paraissaient en ressortir, au premier abord. Sur les ruines de la petite série de certitudes que nous nous figurions avoir, M. Gray ne laisse qu’une série de points d’interrogation. Je me trompe : il supprime, au contraire, l’un des points d’interrogation qui subsistaient pour nous, celui qui provenait de la différence des noms dans la licence et dans le contrat ; car cette différence s’explique tout naturellement, d’après lui, par une double erreur qu’a dû commettre le scribe de l’évêque de Worcester, en lisant « Whateley » au lieu de « Hathaway, » et en confondant les noms de deux paroisses voisines, Temple Grafton et Stratford-sur-Avon ; et le fait est que le même registre épiscopal contient, aux environs de la même date, une dizaine d’erreurs tout aussi singulières. Mais, pour tout le reste, l’étude de M. Gray détruit irrémédiablement nos diverses conjectures, nous forçant désormais à regarder comme inexactes, ou tout au moins comme très douteuses, jusqu’aux choses que nous croyions les mieux établies.

Ainsi l’âge de la femme de Shakspeare ne nous est connu que par l’inscription de sa pierre tombale, qui nous apprend qu’elle avait « soixante-sept ans » au moment de sa mort : or il se peut fort bien que l’ouvrier chargé de graver cette inscription se soit trompé, et ait lu, par exemple, un 7 au lieu d’un 1 ; car des erreurs de ce genre se rencontrent en foule, sur les monumens funéraires du temps. Et l’erreur, ici, nous apparaît d’autant plus vraisemblable que les traditions locales de Stratford, riches en anecdotes de toute sorte sur la vie privée du poète, ne nous offrent pas la moindre trace d’une allusion à une différence d’âge entre les deux époux. Et il n’y a nulle trace, non plus, dans ces traditions, d’une animosité déclarée de Shakspeare à l’égard de sa femme, ni d’une mesure prise par lui pour la déshériter ; loin de là, l’opinion courante à Stratford était, au XVIIe siècle, que la veuve du poète, après avoir toujours vécu en parfait accord avec lui, avait demandé à être enterrée près de l’endroit où il reposait. En tout cas, la phrase fameuse du testament de 1616 ne souffre point, suivant M. Gray, d’être interprétée dans un sens défavorable à la femme de Shakspeare. Celle-ci, en effet, aux termes de la loi anglaise, se trouvait en possession d’un « douaire » rigoureusement déterminé d’avance, et qui n’avait pas à être rappelé dans le testament du mari : elle avait, sa vie durant, un tiers des revenus de la fortune familiale