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préoccupé de l’unité de l’aspect de ses tableaux, il arrivait souvent qu’à force de les reprendre, il s’écartait graduellement de l’impression initiale et l’affaiblissait. Toujours désireux du mieux, il ne savait pas plus qu’autrefois s’arrêter à temps. Aussi essayait-il de se mettre en garde contre cette disposition invétérée et, invoquant tour à tour l’autorité de Rembrandt et de Claude Lorrain, il revenait sans cesse sur ce grand principe de l’unité que, sous des formes différentes, tous les maîtres ont affirmé.

Afin de sortir de lui-même et de se renouveler, Rousseau avait compris que, de temps à autre, il lui serait utile de changer un peu d’horizon et de quitter momentanément la forêt, ne fût-ce que pour revenir à elle avec plus de plaisir. C’est ainsi qu’en 1857, il faisait un séjour d ; étude à Picquigny, en Picardie, et qu’il passait l’automne de 1863 dans le Jura et les Faucilles, où l’attiraient les souvenirs de sa jeunesse. Un grand dessin qu’il fit d’après les sources du Liron, un petit cours d’eau encaissé, sortant d’un cirque de montagnes, lui avait procuré des jouissances de travail délicieuses. « Voyez ce Liron, disait-il en montrant ce dessin à des amis, ne vaut-il pas l’Eurotas ? » En 1865, il s’installait dans l’Artois, avec l’intention, qu’il ne put réaliser, de pousser jusqu’à Boulogne, pour y peindre des marines.

Les étangs de la Sologne l’avaient aussi attiré. Il aimait l’eau, qui lui manquait un peu dans la forêt. Toutes les mares qu’elle renferme lui étaient connues et, pour la plupart, il les avait pointes. Rarement il se faisait faute de placer quelque flaque d’eau dans ses compositions. En même temps que cette introduction d’un des élémens les plus pittoresques dans ses paysages lui permettait d’en mieux établir l’assiette, il leur donnait aussi plus de vie. Le ciel et les arbres voisins reflétés dans ce tranquille miroir s’y paraient de colorations plus savoureuses, qui, étalées au centre même de ses compositions, y ajoutaient un charme piquant.

Bien que le prix de ses tableaux se fût graduellement élevé, la situation de Rousseau ne s’était guère améliorée. Sans être dépensier, il ne comptait guère, et l’argent glissait entre ses doigts. Il avait donc traversé encore des périodes de gêne passagère, et il eut même un instant la pensée de quitter la France pour s’établir à Amsterdam où il comptait des admirateurs fervens, puis en Angleterre ou en Amérique. Mais des ventes successives avaient permis à l’artiste de payer quelques dettes