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aurions été touchés par la souffrance de ce cœur déchiré, plus nous aurions apprécié l’intensité de la lutte qui s’y livre. C’était par la vertu de son charme, par l’humanité de ses discours que Morey pouvait triompher des résistances de la femme délicate et tendre dont il s’est épris. Mais on nous montre en lui une espèce d’âpre sectaire et de farouche anticlérical. Il est tout à la fois brutal et fat. Il a une façon qui n’est qu’à lui de faire sa cour. Dans l’amour de la femme qu’il convoite, il poursuit principalement le triomphe de ses doctrines philosophiques, et ne s’en cache pas. En couronnant sa flamme, c’est son athéisme que la duchesse réjouira. Au surplus, il la prévient qu’elle n’aura pas à s’en repentir : en le repoussant, elle ne sait pas ce qu’elle refuse ! Ce Morey a une superbe confiance en lui pour faire le bonheur d’une femme. Il y a des gens qui ne manquent jamais une occasion de dire une sottise ; c’est chez eux un don de nature, c’est une fonction : ils la remplissent avec la sûreté de l’instinct. Morey est de ces gens-là. Ses actes sont en conformité avec son langage. Ce qu’il accomplit de vilenies sous nos yeux dépasse sensiblement la mesure ordinaire. Tout concourt à nous le faire prendre en grippe, et, partant, à rendre tout à fait désobligeant l’amour de la duchesse pour ce butor.

Le docteur Morey est le représentant de la morale païenne ; l’idée chrétienne est représentée par l’abbé Daniel et Mgr de Bolène. C’est ici qu’était le principal écueil de la pièce, et que l’auteur a dû se sentir guetté par le redoutable poncif. M. Lavedan l’a évité aussi complètement qu’il était possible ; c’est son principal mérite. Ces deux types de prêtres sont différens, au point de former contraste ; et ils sont, l’un et l’autre, pris sur le vif. L’abbé Daniel, un très jeune prêtre, a vécu dans le monde : il en a partagé les erreurs, à telles enseignes qu’il a été un fort mauvais sujet. Il s’est converti à la suite d’un drame de famille ; il est entré dans les ordres ; mais son âme, pour avoir été purifiée, n’a pas été changée. Il est resté un esprit inquiet ; il a conservé un culte presque païen pour la beauté, pour ce qui est distingué, raffiné, aristocratique. Sa piété, toute sincère qu’elle soit, se complique de dilettantisme, et peut-être n’est-elle qu’une forme supérieure et particulièrement noble du dilettantisme. Ne lui demandez ni la simplicité, ni l’onction : il est de son temps. Ces inquiétudes et ces complications, Mgr de Bolène affirme que lui-même il les a connues. Nous avons quelque peine à l’en croire. Ce missionnaire dont les Chinois ont fait un martyr, et le gouvernement de la République un chevalier de la Légion d’honneur, a mis dans sa foi la carrure