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aurait-elle ainsi la satisfaction d’avoir européanisé la question ; mais elle l’aurait surtout fortement embrouillée, et, encore une fois, rien ne prouve que ce fût à son avantage.

M. Delcassé s’est demandé s’il n’était pas devenu, en raison sans doute des omissions qu’on lui reprochait, un obstacle à un arrangement direct entre l’Allemagne et nous : et il a fait tout de suite le sacrifice de sa personne en remettant sa démission entre les mains de M. le président du Conseil. Celui-ci ne l’a pas acceptée, en quoi il mérite d’être approuvé. Les hommes politiques mêmes et les journaux qui s’étaient montrés le plus hostiles à M. le ministre des Affaires étrangères ont compris qu’il y aurait une faute grave à se séparer de lui en ce moment. On pourrait croire, en effet, qu’il a été victime, soit d’une intrigue radicale socialiste au dedans, soit d’influences venues du dehors : ni notre politique intérieure, ni notre politique extérieure n’en seraient améliorées. Quelle serait d’ailleurs la situation du successeur de M. Delcassé, s’il arrivait à ce qu’on appelle, parfois si improprement, le pouvoir dans des conditions qui atteindraient du même coup son autorité et notre dignité ? Parmi les journaux étrangers, les uns, suivant les pays, ont violemment attaqué et les autres véhémentement défendu M. Delcassé : nous les écoutons les uns et les autres, nous tenons compte des renseignemens qu’ils nous donnent, mais nous ne prenons nos inspirations ni auprès de ceux-ci, ni auprès de ceux-là. M. Delcassé est l’auteur d’une politique qui a ses avantages et ses inconvéniens. Les avantages en paraissaient plus sensibles hier, et les inconvéniens en paraissent plus sensibles aujourd’hui. Sans préjuger ce que sera demain, nous estimons qu’à l’heure actuelle M. Delcassé est mieux à même que personne de faire face à l’orage qui s’est formé sur sa tête et sur la nôtre. S’il a des adversaires au dehors, il y a aussi des amis, n tient en main les fils de beaucoup de choses. Il a montré, dans diverses circonstances, beaucoup de souplesse à se tirer des difficultés où il s’était mis. Enfin, comme dit un vieux proverbe, ce n’est pas au milieu du gué qu’il faut changer ses chevaux. Les Anglais en ont fait tout récemment une application que nous ne nous sommes pas bornés à admirer platoniquement ; nous en avons compris la sagesse pratique et aussi la convenance. Le départ de M. Delcassé aujourd’hui, quand bien même le ministre aurait commis les fautes qu’on lui reproche, serait pour nous un affaiblissement. Ses collègues ont donc bien fait de lui demander de revenir sur sa décision, et il a bien fait de les écouter. On n’aurait compris sa retraite que s’il avait été en désaccord avec eux sur la