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conviennent aussi peu que possible à un auditoire aussi enflammé ; mais il compte qu’elles produiront le résultat qu’il souhaite par l’opposition même et le contraste. On voit bien qu’il veut refroidir ses auditeurs ; et il n’entame son discours véritable que quand il croit les avoir mis en état de l’écouter.

Il n’y a guère de doute que Salluste n’ait conservé les argumens dont César s’était servi ; ils avaient produit tant d’effet, ils étaient si connus, qu’on n’y pouvait rien changer. César avait résolu ce problème d’être indulgent aux conjurés en paraissant sévère. Il se garde bien de justifier leur crime. Au contraire, il part de cette idée qu’aucun supplice n’est assez cruel pour eux, et s’il contredit Silanus, qui les condamne à mourir, c’est qu’il veut aller plus loin que lui. « La mort, dit-il, n’est pas un châtiment ; c’est le repos après les peines de la vie, le terme de nos travaux et de nos misères. Au-delà, il n’y a plus ni souci, ni joie. » Il nous semble un peu étrange d’entendre un grand pontife, le chef de la religion romaine, nier si résolument l’autre vie ; mais alors on n’en parut pas fort surpris, et tout ce que Cicéron, qui était augure, trouve à lui répondre, c’est qu’il est peut-être dangereux de renoncer aux enfers et au Tartare « que les anciens ont imaginés pour faire peur aux méchans. » Puisque la mort, au lieu d’être le plus rigoureux des supplices, est souvent une délivrance, César propose de condamner les coupables à la détention perpétuelle. N’oublions pas que la prison faisait horreur aux Romains, et que l’adoucissement des mœurs publiques a consisté chez eux à la remplacer par l’exil. Ils seront donc rigoureusement emprisonnés, non pas à Rome, où ils pourraient être dangereux, mais dans les municipes importans, qui seront tenus sous les peines les plus sévères de ne pas les laisser s’échapper. De plus, leurs biens seront confisqués, et pour qu’on soit sûr qu’ils ne seront pas remis en liberté, on défendra de faire jamais aucune proposition au Sénat ou au peuple de réviser leur procès. « Quiconque contreviendra à cette défense sera déclaré ennemi de l’Etat et du repos public. »

César n’était pas assez naïf pour croire que toutes ces précautions serviraient à quelque chose. Il n’espérait pas non plus convaincre le Sénat de leur efficacité. Tout le monde était certain que cette détention à laquelle on les condamnait pour toujours ne durerait guère. On savait bien que, s’ils n’arrivaient pas à se sauver dès les premiers jours pour aller rejoindre Catilina