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que des historiens et des légistes éminens lui aient sévèrement reproché de n’en avoir lui-même tenu aucun compte aux nones de décembre. Laboulaye déclare que, quelque grand que fût le crime des complices de Catilina, Cicéron était coupable d’employer contre eux d’autre peine que celles qui étaient prévues par la constitution. : « Il eut le tort, dit-il, pour détourner de la république les dangers qui la menaçaient, d’entrer dans la voie la plus périlleuse, celle qui fraye le chemin à toutes les tyrannies. La violation des lois dans un but d’intérêt public prépare trop souvent la violation des lois dans un intérêt privé[1]. » On pense bien que Mommsen, qui déteste Cicéron, est beaucoup plus dur. Le jugement des nones de décembre lui paraît « le plus brutal et le plus tyrannique des forfaits, et il trouve plaisant qu’il soit l’ouvrage du plus inconséquent, du plus timoré des hommes, de celui qui se glorifiait d’être un « consul populaire ! »

Ceux qui au contraire approuvent la mort des conjurés rappellent que, le 21 octobre, un sénatus-consulte avait chargé officiellement les consuls « d’empêcher que la république ne reçût aucun dommage. » Cicéron pouvait penser que, puisqu’on lui en imposait le devoir, on lui en fournissait les moyens. Il ne doutait pas que cette petite phrase de quelques mots, comme il l’appelle, ne lui conférât tous les pouvoirs qu’avait possédés l’ancienne dictature, et, parmi eux, le plus important de tous, celui de juger sans appel. A la vérité, la démocratie n’en convenait pas, et César n’a poursuivi Rabirius avec tant d’acharnement que pour qu’il fût bien établi que « le sénatus-consulte des derniers momens, » comme il l’appelle, ne peut pas suspendre l’effet des lois qui protègent la liberté des citoyens. Mais, même dans son parti, tout le monde n’est pas de son opinion. Salluste n’hésite pas à reconnaître que le magistrat, qui est armé par le Sénat de la formule souveraine, jouit de la plénitude du pouvoir judiciaire (summum judicium), et il est probable que plusieurs, qui n’appartenaient pas à la faction aristocratique, pensaient comme lui. Quoiqu’ils eussent peu de goût pour les mesures d’exception, il ne leur semblait pas, dans cette anarchie qu’on traversait depuis un demi-siècle, qu’on pût maintenir autrement une apparence de paix publique.

  1. Laboulaye, Essai sur les lois criminelles des Romains, p. 125.